Изображения страниц
PDF
EPUB

un peu au-dessus du point où nous avions traversé ce fleuve.

Nous avancions dans des sentiers étroits et bordés d'arbres touffus; notre marche étoit difficile, et nous étions obligés de nous coucher sur nos chevaux, pour éviter d'avoir le visage déchiré par les longues branches de ces arbres, qui de temps immémorial ont été respectés par la hache. C'est dans ce moment que nous entendîmes les cris de deux hommes qui paroissoient se battre entre eux. Le prince Tchitchevasy s'élança vers le lieu d'où partoit le bruit, et aperçut deux Immirétiens aux prises.

Avant de s'occuper de la cause de leur différend, il commença par appliquer à chacun d'eux quelques coups de plete (1), et leur dit ensuite qu'il étoit prêt à entendre leurs plaintes. L'objet de la querelle étoit peu important : il s'agissoit d'une vache entrée dans un champ de maïs, et qui, ayant fait quelques dégâts, étoit retenue par le propriétaire du champ, pour sûreté de l'indemnité qu'il réclamoit,

La valeur de l'amende fut tout de suite fixée, la restitution de la vache ordonnée, et les deux

(1) Espèce de fouet court qui se termine par un morceau de cuir mince et rond.

combattants s'en retournèrent chez eux satisfaits et réconciliés, pendant que nous continuâmes notre route.

Nous mîmes deux heures un quart pour faire les treize werstes qui séparoient le village de Psuani de celui de Toachnesy, où nous dinâmes dans une belle prairie dont le terrain étoit assez élevé, et qui faisoit partie de la propriété d'un noble Immirétien (1).

Sa maison étoit construite avec beaucoup de soin; elle étoit remarquable par son extrême propreté. Un vestibule précédoit la grande chambre qui servoit de logement, et une galerie ouverte l'entouroit entièrement. Dans la même prairie, enclose par des haies, se trouvoient placés les bâtiments servant à loger ses esclaves et à renfermer les productions de sa terre. Des massifs de très-beaux arbres servoient de lieu de repos et en même temps de salle à manger pendant les beaux jours.

Le noble chez qui nous nous arrêtàmes, et

(1) Les nobles Immirétiens, soustraits au despotisme des princes desquels ils dépendoient, et ayant conservé sur leurs esclaves une autorité, mitigée seulement sous le rapport du droit de frapper, sont ceux qui ont le plus gagné à la réunion de leur pays aux États de Sa Majesté Impériale.

que sa qualité plaçoit bien au-dessous du prince Tchitchevasy, ne négligea rien pour nous bien traiter, et nous ne pûmes assez nous louer de ses prévoyantes attentions; il ajouta au diner ordinaire du pays de très-bonnes truites et des écrevisses, dont abondent les ruisseaux rapides de cette partie de l'Immirette. Lorsque nous partimes, il se joignit à notre caravane, avec son frère, un de ses greffiers et deux de ses esclaves, munis de leurs éperviers, et il ne nous quitta que lorsqu'à notre retour nous repassâmes le Phase.

Comme il ne nous restoit que douze werstes à faire pour arriver au village de Saposniawo, à de distance de la forêt du même nom, que peu nous nous proposions de visiter, nous laissâmes passer la grande chaleur, et nous ne nous mîmes en route que vers cinq heures du soir : notre caravane, grossie du noble Immirétien et de sa suite, étoit devenue extrêmement nombreuse.

Nous traversames plusieurs fois à gué la Souhori et un ruisseau qui s'y jette, dont on ne put me dire le nom. La rapidité de leur cours, la multiplicité de leurs chutes, dans cette contrée montagneuse, les rendent très-propres l'une et l'autre pour y placer des usines.

Nous marchions dans des sentiers excessive

ment étroits, souvent bordés de précipices, et remplis de pierres calcaires. Bientôt le chemin devint plus difficile : pour le rendre praticable, on avoit, de distance en distance, coupé des marches dans le rocher; et comme quelquesunes avoient plus de dix pouces de hauteur, nos chevaux étoient à chaque moment en danger de tomber.

Si on réfléchit que nous voyagions avec le prince-directeur du canton que nous devions visiter, et avec des princes possessionnés qui pouvoient avoir quelque défiance sur l'objet de notre voyage, on s'étonnera peu si involontairement je me suis rappelé alors une anecdote. citée par le père Lamberti, dans sa description de la Mingrelie.

Ce bon Théatin raconte que lorsque les envoyés du grand-seigneur arrivoient à l'embouchure du Phase pour percevoir les tributs en argent, en produits agricoles et en jeunes esclaves, que leur payoient les rois de Mingrelie, long-temps tributaires des Turcs, comme ils l'avoient été des rois de Perse et des successeurs de Constantin, ils trouvoient toujours, au moment de leur débarquement, des seigneurs Mingreliens qui, sous le prétexte de leur faire honneur, et de leur servir d'escorte et de guides,

ne manquoient jamais de les conduire par les plus affreux chemins, de leur faire voir les chaumières les plus pauvres et des hommes entièrement déguenillés; et les apitoyant alors sur l'état du pays et l'extrême misère du peuple, ils réussissoient à les contenter avec un foible tribut.

Je dois reconnoître à présent que mes soupçons étoient mal fondés, comme j'ai eu occasion de le vérifier depuis; mais alors je ne pouvois me persuader qu'une forêt de plus de six mille arpents de France, qui occupoit une immense plaine, n'eût pour toute issue que des sentiers étroits, la plupart taillés dans le roc.

Dans cette route, les difficultés augmentoient à mesure que nous avancions: aussi fûmes-nous obligés de descendre de cheval, et de faire plus de quatre werstes à pied, en conduisant nos chevaux par la bride, avant d'arriver au plateau excessivement élevé où se trouve placé Saposniawo.

Ce village se compose d'une trentaine de maisons éparses; elles sont occupées par une population pauvre, qui d'abord fut effrayée à l'aspect de notre nombreuse caravane, et qui s'enfuit en grande partie dans les bois. Cependant peu à peu les habitants se rassurèrent, en voyant avec nous le prince Tchitchevasy et un

« ПредыдущаяПродолжить »