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comme en Europe, les hommes riches trouvent des complaisants. Notre hôte avoit choisi pour le sien un noble peu aisé, et qui se prêtoit de la meilleure grâce du monde aux plaisanteries dont il étoit l'objet. Condamné par son ami à vider le verre rempli à comble, il faisoit, avant de s'y déterminer, toutes les résistances, les lazzis et les grimaces dont les meilleurs mimes Italiens eussent été capables.

La vie de plaisirs de ces deux Immirétiens, que leur gaîté fait inviter à toutes les fêtes, n'a eu nulle influence sur leur courage; et lorsqu'en 1820 il y eut des troubles en Immirette, ils se sont signalés par leur bravoure et leur fidélité pour l'empereur Alexandre; ce qui leur a valu des grades dans l'armée Russe et d'autres récompenses.

Si nous avions cédé aux instances de notre hôte, notre souper se seroit prolongé pendant toute la nuit ; mais nous avions besoin de repos, et comme nous nous proposions de repartir le lendemain à quatre heures du matin, nous nous retirâmes de bonne heure.

De la position élevée où nous nous trouvions, on découvre toute la plaine qui, depuis la Tchelabory, s'étend jusqu'aux hautes montagnes situées entre l'Immirette et la Kartalinie. On

sept

nous fit apercevoir, à une distance de six à werstes, deux tertres presque de niveau avec celui sur lequel nous étions placés. Le fils du czar Salomon y avoit eu autrefois des habitations et des métairies. On nous proposa de les aller voir, et j'y consentis d'autant plus volontiers, que j'espérois y trouver quelques ruines qui eussent mérité notre attention. Pour y parvenir, on traverse un grand nombre de prairies, entremêlées de terres cultivées et couvertes de riches récoltes. Les défrichements ont beaucoup augmenté dans ce canton depuis quelques années, et tout y annonce un accroissement de population et d'aisance.

Arrivé à l'un des tertres, j'avoue que j'éprouvai un sentiment pénible : non-seulement la maison du czar et tous les bâtiments qui avoient servi à la culture de ses terres étoient détruits, mais les magnifiques tilleuls et les noyers qui embellissoient ses pâturages n'avoient pas échappé à l'arrêt de proscription dont on avoit frappé son héritage, à la suite d'un complot dans lequel il avoit trempé. Une chapelle en pierres étoit le seul témoin qui attestoit que, douze ou quinze ans auparavant, ce lieu étoit couvert d'habitations.

La vue de ces ruines, qui n'avoient rien de

remarquable, m'avoit

peu disposé à aller voir le second tertre, et nous nous décidâmes à continuer notre voyage dans les montagnes, pour examiner des mines de fer dont on nous avoit parlé, et qu'on assuroit être riches et abondantes.

Après deux heures de marche au travers de sentiers étroits et escarpés, nous mîmes pied à terre chez deux propriétaires Immirétiens que nous avions rencontrés la surveille entre Simonetti et la poste de Tchelabory, et qui nous avoient engagés à nous arrêter chez eux à notre passage.

Nos deux hôtes nous traitèrent parfaitement bien. Comme nous allions nous mettre à table, nous reçûmes la visite du vieux prince Abacheff: sa famille est une des plus illustres de l'Immirette et alliée à celle des anciens rois de cette contrée. Sa barbe et ses cheveux gris étoient entièrement teints en roux. Il parut très-satisfait de faire la connoissance de quelques Français; il n'en avoit jamais vu avant notre excursion dans la Colchide. Malgré sa haute naissance et sa fortune, son fils, âgé de dix-huit ans, est depuis quatre ans simple sous-officier dans le régiment d'infanterie de Mingrelie, dont le prince Beboutoff est colonel, Ce jeune homme y est très-estimé

pour les preuves de courage qu'il a données dans la dernière campagne contre les Abazes et pour sa bonne conduite.

Depuis quatre ou cinq ans l'esprit guerrier et l'amour de la gloire se sont réveillés chez les Géorgiens, et les Immirétiens eux-mêmes paroissent avoir reçu cette impulsion. Aujourd'hui presque tous les princes et les nobles cherchent à faire admettre leurs fils dans l'école des cadets et dans le corps des pages à Pétersbourg, afin de les faire entrer ensuite comme officiers dans les régiments Russes.

Vers deux heures nous prîmes congé du vieux prince et de nos hôtes, pour nous rendre chez un propriétaire, dont l'habitation se trouve dans les hautes montagnes qui séparent le canton de Schorapana de celui de Radscha.

A peine avions-nous quitté les deux princes Immirétiens, et fait quatre werstes dans une trèsbelle vallée couverte de chênes et de hêtres de fortes dimensions, qu'un seigneur dont nous traversions les domaines vint au-devant de nous avec beaucoup d'empressement, et ne nous laissa continuer notre route que lorsque nous eûmes consenti à mettre pied à terre, pour goûter de son vin et manger quelques fruits. Ils étoient d'un goût très-acide : la nature a tout fait

pour

ce beau pays; les hommes rien encore. Dans toutes les forêts de l'Immirette et de la Mingrelie, on trouve dans leur état sauvage tous les arbres fruitiers aujourd'hui connus en Europe, et un grand nombre d'autres qui, améliorés par la culture, donneroient des variétés à l'infini et beaucoup d'espèces nouvelles.

Lorsque nous fùmes prêts à partir, ce seigneur et quelques autres nobles montèrent à cheval, et, se joignant à notre caravane, ils nous accompagnèrent pendant environ cinq werstes, jusqu'au pied des montagnes où nous devions ne pas tarder à trouver l'habitation dans laquelle nous nous proposions de passer la nuit. Le malheur voulut que notre guide s'égarât au milieu des nombreux sentiers étroits et escarpés par où nous passions : bientôt il s'aperçut de son erreur. Retourner sur nos pas étoit difficile, presque impossible, et comme le sentier que nous avions choisi étoit frayé, nous nous décidâmes à le suivre, malgré les difficultés qu'il offroit, et auxquelles venoit se joindre la chute d'un torrent tombant en cascades, et que nous étions quelquefois forcés de traverser.

Enfin, après deux heures de fatigues, de dangers et de pénibles efforts, après avoir été souvent obligés de descendre de nos chevaux, et

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