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Pendant notre séjour à Soukoum-Kalé, nous avons été témoins du commerce borné de ce marché. On y vendoit du sel mêlé de vase pour 3 abazes (1) le poud (6 à 7 francs le quintal). Le paiement s'en faisoit en peaux de martre moins belles que celles du nord de la Russie; elles ne coûtoient que 2 ou 3 roubles-assignation la pièce; les peaux d'ours valoient 4 à 5 roub.

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peaux de loup 2 roub., les peaux de chacal 60 copecs (ou centimes); enfin les peaux de chat sauvage se payoient de 20 à 40 copecs la pièce (2).

Les cires valoient 5 à 6 abazes l'ocke (4 francs à 4 francs 80 centimes) les trois livres, poids de Marseille ou de Russie.

Les fourrures sont la seule marchandise de quelqu'importance que le commerce peut se procurer dans cette contrée. Il n'est pas douteux que si on établissoit des chantiers de constructions et un entrepôt de marchandises à SoukoumKalé, les relations de commerce avec les montagnards n'augmentassent successivement.

(1) L'abaze est une monnoie d'argent persanne qui a cours dans toutes les provinces russes au-delà du Caucase, et vaut 80 copecs ou centimes.

(2) J'ai réduit en roubles-assignation un paiement qui, à Soukoum-Kalé comme en Mingrelie, a toujours lieu en paras et autres monnaies turques.

Les draps, les soieries, les toiles de coton blanches et peintes, les maroquins, la quincaillerie et les fusils à deux coups seroient, dans le principe, les marchandises dont la vente seroit la plus facile.

Les Abazes font avec le lait de leurs vaches et de leurs buffles des fromages blancs salés. Ils ne connoissent pas la manière de faire le beurre, et il en est de même dans toute la Colchide

L'art de la construction des bateaux, sur la côte de la Circassie et de l'Abazie, est bien plus avancé que sur la Khopi et le Phase. A SoukoumKalé, nous avons remaqué sur le rivage trois de ces bateaux, auxquels, du temps de Strabon, on donnoit le nom de cameræ, et qui alors, comme de nos jours, étoient montés par un grand nombre de pirates. Vingt-quatre rameurs sont placés à l'aise dans ces bateaux; mais comme à présent ils s'éloignent peu de la côte, et ne sortent d'ordinaire que par un beau temps, ils ne font plus usage d'un petit toit incliné pour se mettre à l'abri des vagues dans les tempêtes violentes. C'est sur de semblables barques que les Goths, fixés dans le troisième siècle en Crimée, débarquèrent en Asie.

Ces bateaux, inconnus dans la Mingrelie, et conservés par tradition chez les Circassiens et

les Abazes depuis une époque si reculée, ne fournissent-ils pas une preuve nouvelle de l'origine grecque des peuples qui habitent la côte de la mer Noire, depuis Anapa jusqu'à Ilori?

Les Abazes que nous avons vus à SoukoumKalé en assez grand nombre, étoient généralement de petite taille; ils avoient le corps maigre, les jambes et les cuisses grêles et arquées. Presque tous avoient les yeux bleus : leur regard dénotoit plutôt la crainte que la perfidie; leur aspect étoit celui de la misère. Leur teint est assez basané; leur nez est pointu et aquilin, sans être long; leur corps, à peine couvert de haillons, est privé de poils; leur barbe est courte et peu touffue; leurs pieds sont excessivement larges, par suite sans doute de l'habitude de marcher sans souliers ni sandales : quelques-uns seulement avoient autour des pieds un morceau de peau de chacal ou de loup, attaché avec de l'osier, et qui leur tenoit lieu de chaussure.

Le plus grand nombre portoit un éperon au pied gauche, soit que la jambe se trouvât nue, soit qu'elle fût enveloppée d'un morceau de drap ou de toile. Nous étions au mois de juin, la chaleur étoit excessive, et cependant tous portoient le manteau de feutre, couvert de poil de chèvre. C'est le bourca des Géorgiens, la véritable chla◄

myde, le manteau de l'ancienne statue de Phocion, qu'on voyoit au Musæum à Paris. Ils portoient sur la tête le capuchon qu'ils appellent ghetaph, en géorgien bachelick. Il est en usage parmi tous les matelots de la Méditerranée, et surtout parmi les Grecs de l'Archipel.

Les femmes abazes passent pour être belles, et sont renfermées comme en Turquie.

Les princes portoient le costume circassien. Nous en avons vu plusieurs pendant notre séjour à Soukoum et à Redoute-Kalé: ils étoient d'une taille au-dessus de la moyenne, d'une forte constitution, de bonne mine, et sembloient être d'une autre origine que les Abazes dont je viens de tracer le portrait.

Ce peuple, au milieu de son ignorance et de sa barbarie, ne manque pas d'intelligence, et seroit susceptible de faire des progrès rapides dans la civilisation. La colère, la vengeance et l'avarice sont ses passions dominantes; elles tiennent en grande partie à l'état continuel de souffrances et de privations dans lequel il vit : n'ayant ni commerce, ni industrie, il manque souvent des choses les plus nécessaires à son existence. Cette situation a dû aigrir son caractère, et avoir une grande influence sur ses mœurs.

Si une administration régulière remplaçoit

pour les Abazes l'état d'anarchie et d'oppression sous lequel ils vivent, si on substituoit à leur inaction une vie occupée, s'ils obtenoient pour récompense de leurs travaux un salaire qui leur donnât quelque aisance, peu d'années suffiroient pour changer entièrement le moral de ce peuple.

A l'appui de cette opinion, je citerai que, lorsque M. Paul Guibal fut envoyé à SoukoumKalé pour y surveiller une exploitation de bois, projet qui ne reçut aucune exécution, il trouva un grand nombre d'Abazes qui lui offroient de travailler pour lui moyennant le plus foible

salaire.

J'ai déjà dit que le dialecte de ce peuple n'avoit, ainsi que l'a observé M. Klaproth dans son intéressant Voyage, aucun rapport avec celui des Circassiens ses voisins. On en pourra juger par le tableau que j'ai placé à la fin de ce volume, dans lequel j'ai mis en regard quelques mots de ces diverses langues. Les mots abazes m'ont été prononcés par l'interprète du commandant et par un prince du pays.

Avant de terminer mes observations sur Sou koum-Kalé, je dirai que le service de cette place se faisoit comme dans une ville assiégée. L'avant-poste, placé à cent pas de la forteresse,

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