de guérir, ont été autant de causes qui ont diminué la mortalité; et si le nombre des mariages et des naissances en enfants légitimes (1) a éprouvé une diminution sensible, ce résultat statistique, qui, pour un grand nombre d'individus, tient à la difficulté qu'ils éprouvent de pourvoir à leur existence, est devenu une nouvelle preuve que le besoin de l'émigration est, en France, plus étendu et plus urgent qu'à aucune autre époque de la monarchie : il est d'ailleurs des causes politiques, des considérations particulières qui semblent ajouter, pour ce royaume, à la nécessité de favoriser l'émigration. << Elle est nécessaire à ceux pour qui, >> ne fût-ce que pour un instant, un ciel >> nouveau est devenu un besoin; à ceux >> pour qui la patrie est devenue inféconde; >> aux hommes qui ne peuvent se résoudre >> à placer l'espérance là où ils ont éprouvé >> le malheur; à cette multitude de ma (1) Voyez le Rapport sur l'état de la population en France, lu à l'Académie des Sciences, le 30 janvier dernier. >> lades politiques, à ces caractères inflexi>> bles qu'aucun raisonnement ne ramène, >> qu'aucun événement ne désenchante; >> à ceux qui se trouvent toujours resserrés >> dans leur propre patrie; aux spécula>> teurs avides, aux spéculateurs aventu>> reux; à ces hommes qui brûlent d'atta>> cher leurs noms à des découvertes, à des >> fondations de villes, à des civilisations; » à tel pour qui la France constituée est >> encore trop agitée; à tel pour qui elle >> est trop calme; à ceux qui ne peuvent se >> faire à des égaux; à ceux qui ne peu>> vent se faire à aucune dépendance (1). Depuis le temps où un homme d'État célèbre signaloit le besoin de colonies avec des couleurs à la fois si exactes et si fortes, la plus grande partie des causes morales et politiques qu'il avoit indiquées ont disparu; mais douze années de paix ont considérablement accru la population de la France, et, dans le reste de l'Europe, (1) Discours de M. le prince de Talleyrand à l'Ins cette progression n'a pas été moins sen sible. Par suite de cet état de choses, l'action du Gouvernement est, en général, devenue plus difficile, l'administration plus compliquée; et comme l'existence d'une grande partie de la population repose aujourd'hui sur le travail et le commerce, toute guerre qui tendroit à les circonscrire ou à les suspendre, présenteroit un danger réel pour la tranquillité intérieure des États. Cette crainte a, sans aucun doute, contribué à déterminer les efforts, je dirai même les sacrifices faits par les Empires les plus puissants pour maintenir la paix du monde; et elle fait sentir de plus en plus la nécessité d'un équilibre qui mette l'Europe hors des atteintes de l'ambition. La France, resserrée dans ses anciennes limites, mais conservant le noble sentiment de sa force, n'a cessé depuis dix ans de donner des preuves de sa modération. L'Autriche ne s'est occupée qu'à maintenir par la sagesse de son administration la tranquillité des peuples divers soumis à son empire. La puissance de la Russie pèse tout entière sur l'Asie et sur la Turquie d'Europe; mais elle ne peut, pour l'Allemagne, et encore moins pour la France, être un objet d'inquiétude, quelle que soit, à cet égard, l'opinion contraire venue d'outremer. Aucun de ces trois grands empires ne domine l'Europe; aucun, du moins isolément, n'auroit une force suffisante pour résister à une coalition formée dans un but de défense commune. Si l'équilibre de l'Europe est rompu, c'est que l'Angleterre, en usurpant la domination des mers, s'est mise hors de toute atteinte, et qu'en s'assurant le monopole du commerce, elle a accumulé dans son île la plus grande partie des richesses du monde. Pour atteindre ce but, cette puissance, aujourd'hui colossale, a été forcée de calculer et de régler sa conduite politique et administrative comme elle calcule ses finances, selon les circonstances et d'après son intérêt particulier, je dirai presque dans le besoin de sa conservation. Ainsi, elle a fait le commerce des esclaves quand il lui a été avantageux; elle ne l'a frappé d'anathème que lorsque, ayant établi dans l'Inde la culture des denrées coloniales, la traite des nègres ne lui a plus été nécessaire. Elle a été intolérante pour la navigation et pour le commerce étranger, lorsqu'il s'est agi de créer sa marine et son industrie manufacturière : elle est aujourd'hui disposée à renoncer à son acte de navigation, parce qu'elle maîtrise les mers, et qu'elle n'y peut craindre aucune puissance; enfin, elle est prête à ouvrir ses ports aux produits des manufactures des autres peuples, parce que ses fabriques ne redoutent aucune concurrence, et que son esprit public repousse tout ce qui est étranger (1). (1) Lors de la discussion qui a eu lieu dans la séance du 13 mai dernier, à la Chambre des Pairs, sur la loi des douanes, M. le comte de Saint-Cricq a développé avec l'esprit et la sagacité qui le distinguent, la manière dont le gouvernement Anglais, en paroissant libéral dans son système de douanes, calcule toujours ses droits pour ne nuire à aucune des branches de son industrie manufacturière. |