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CHAPITRE IV.

Arrivée d'un Mingrelien à bord de la frégate.-Départ de Soukoum-Kalé pour Redoute-Kalé.-Vue de Kelassaour.

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Ilori. — Anagri. — Arrivée dans la rade de RedouteKalé. Difficulté de l'entrée de la rivière. Sûreté et profondeur de la Khopi.-Travaux nécessaires pour assainir Redoute-Kalé. Bâtiments de la quarantaine. Commerce et navigation en 1823. -Poids et mesures. — L'ancien commerce d'esclaves a cessé. - Souvenirs qui s'attachent au Phase ou Rion. - Améliorations dont la navigation de ce fleuve est susceptible. Situation actuelle des principaux ports, baies et anses de cette côte. Quelques mots sur le Gouriel. Erreurs relevées sur la situation de Bati.-Colonies anciennes. - Description de la Mingrelie.-Détails sur le prince et la princesse de Mingrelie.

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La veille de notre départ de Soukoum, nous vîmes arriver à bord, vers la nuit, un malheureux mingrelien enlevé depuis quinze ans par les Abazes, et qui, pendant pendant ce long intervalle, avoit toujours vécu parmi eux. Au moment où il fut pris, on lui perça le talon pour y entretenir une plaie qui le mit hors d'état de fuir, et on le chargea de la garde des cochons, dont ce peuple, quoique musulman, fait sa principale

nourriture. Peu à peu il obtint la confiance de son maître, et l'accompagnoit quelquefois à Soukoum, où il venoit échanger des cires, des miels et quelques fourrures contre des sels et des toiles peintes communes.

Un jour, il avoit échappé à la surveillance des Abazes avec lesquels il étoit venu, et s'étoit caché dans la forteresse; on le découvrit dans sa retraite, et, pour ne pas compromettre l'état de paix dans lequel on vivoit avec ces barbares, on le força d'aller rejoindre son maître. Ce malheureux trouva le moyen de s'excuser de sa courte absence, et, conservant la confiance qu'il avoit obtenue, il nourrissoit le desir de rentrer en Mingrelie. L'arrivée de la frégate russe lui fournissoit une occasion de salut, et il sut en profiter, en intéressant à son sort l'interprète et le commandant.

S'étant soustrait de nouveau à la surveillance de son maître, il resta vingt-quatre heures caché à Soukoum, et fut embarqué à la nuit, couvert d'une capote de soldat. En arrivant à bord du bâtiment, le captif échappé étoit dans l'ivresse de la joie; mais l'expression de sa figure dénotoit encore l'état de frayeur habituelle dans lequel il avoit vécu : il étoit très-maigre et presque nu. Nous ne pûmes qu'avec beaucoup de peine tirer

que

de lui quelques renseignements sur l'intérieur de l'Abazie il se borna à nous dire que le pays étoit extrêmement fertile, couvert de bois, entremêlé de vallées et de montagnes. Il nous assura que le peuple, faute de commerce et de débouché pour le produit de ses terres et de sa chasse, étoit d'une excessive pauvreté, la culture y étoit négligée, et que souvent son maître et lui manquoient des vivres nécessaires pour leur subsistance. On fit à bord une quête pour ce malheureux : les Russes sont généralement bienfaisants; elle fut abondante. On y ajouta des hardes pour le couvrir, en attendant qu'il pût arriver dans son village, où peutêtre toute sa famille aura disparu, comme beaucoup d'autres, pendant la peste de 1812.

Partis le mardi 6-18 juin, à quatre heures du matin, de Soukoum-Kalé, nous ne tardâmes pas à apercevoir les ruines de Kelassaour, et bientôt nous nous trouvâmes au cap Cador, situé à dix-huit werstes de Soukoum. Nous mîmes la journée entière et une partie de la nuit à le doubler.

Ici le capitaine me fit observer que la carte des provinces russes au-delà du Causase, gravée à Pétersbourg, est exacte sur l'intérieur de la Mingrelie, mais qu'elle renferme, sur la côte

I. 2e édit.

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entre Soukoum et Trébizonde, une erreur d'un demi-degré.

Nous passâmes ensuite devant Ilori. Cette ville et Kelassaour sont placées au bas d'un très-beau coteau, derrière lequel on aperçoit deux chaînes de montagnes, dont la seconde est en partie couverte de neiges elles sont dominées par la haute cime de l'Elbourous.

Le lendemain de bonne heure nous nous trouvàmes devant Anagri, l'une des colonies de l'antique Héraclée, du royaume de Pont. Ce port est situé à l'embouchure de l'Agis et de l'Ingour, et faisoit autrefois avec Trébizonde et Constantinople un commerce assez considérable, dont la vente des esclaves formoit le principal aliment.

La pêche de l'Ingour, rivière très-poissonneuse, étoit autrefois entre les mains de quelques marchands turcs, et formoit un des revenus principaux des rois de Mingrelie. On pêchoit dans cette rivière beaucoup d'esturgeons, de saumons, de soudags et des harengs d'une petite espèce, mais d'un très-bon goût. On y pêche aussi, et sur toute la côte, depuis Soukoum jusqu'à l'embouchure du Phase, un poisson assez rare et recherché dans la Méditerranée, et connu sous le nom de céphalo. C'est avec ses œufs qu'on

fait la sorte de caviar, auquel on donne le nom de poutargue. Pour le conserver, on l'enduit de cire, et dans cet état il peut être envoyé jusque dans l'Inde.

Depuis que l'insurrection des Grecs et le départ du baron de Strogonoff de Constantinople ont fait craindre au divan une guerre contre la Russie, les marchands et les pêcheurs turcs ont momentanément cessé de venir à Anagri et à Redoute-Kalé, où d'ailleurs on les fatiguoit depuis deux ou trois ans par des mesures de quarantaine, auxquelles ils n'étoient pas accoutumés, et que leur ignorance et leur fatalisme leur faisoient considérer comme une tyrannie (1).

J'ai regretté de n'avoir pu descendre à Anagri. On assure que l'embouchure des deux rivières qui s'y jettent offre un port de refuge commode. pour les petits bâtiments de commerce tirant cinq à six pieds d'eau. Anagri a été abandonnée depuis deux ans par les Russes, comme un poste inutile, et cependant les troupes placées sur ce point rassuroient entièrement le commerce contre les incursions que les Abazes pourroient faire sur la droite de la Khopi.

Une heure après avoir passé devant Anagri,

(1) Depuis la fin de 1823 ils ont reparu à SoukoumKalé.

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