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Tchiftchivadze, et le lendemain de bonne heure nous quittâmes avec beaucoup de regret cet hôte aimable. Il nous avoit engagés à aller diner à son village de Mokozange. Nous y fûmes reçus par son intendant dans une maison dont le rezde-chaussée servoit de hangar pour la fabrication du vin. Dans le même emplacement, se trouvoient les jarres dans lesquelles on le conservoit. Le vin de Mokozange nous parut beaucoup moins bon que celui de Tcheniedaly.

Pendant notre diner, un musicien Tartare vint nous proposer de nous chanter quelques airs en s'accompagnant d'un mauvais instrument en forme de mandoline, garni de simples ficelles de chanvre, au lieu de cordes à boyaux. S'etant assis les jambes croisées à la manière des Turcs, il se livra bientôt à une sorte d'enthousiasme, et chanta sur le ton le plus élevé et le plus discordant, mais toujours sur le même air, comme c'est l'usage en Espagne. Ses paroles étoient improvisées, et rouloient sur toutes les difficultés et les dangers qu'il supposoit avoir dû accompagner notre voyage.

Dans ce même village et dans celui de Vachery, nous reçumes la visite de quelques Géorgiens qui servoient chez les Mamelucks à l'époque de notre invasion en Egypte. Faits prison

niers par les Français, ils se louoient beaucoup de la manière dont ils avoient été traités; ils paroissoient très-contents de nous voir, et savoient quelques mots de notre langue.

De Mokozange, au lieu de prendre le chemin de Vachery, nous nous détournâmes sur la gauche, et, après avoir traversé avec la plus grande difficulté des défilés et des montagnes fort élevées et couvertes de très-beaux bois, nous arrivâmes vers les sept heures du soir à Dehary, village appartenant au vieux prince Andronic, frère de la mère du prince Tchiftchivadze. Il n'étoit que depuis deux ans de retour de la Russie, où il avoit été long-temps retenu comme ôtage. Sa maison avoit été brûlée à l'époque des troubles de la Kakétie. Elle n'étoit pas encore rétablie. Ne pouvant nous y recevoir, il nous procura chez son régisseur un logement, où il eut l'attention de nous envoyer dans la soirée de très-bon vin rouge et blanc, et les approvisionnements dont nous avions besoin.

Les terres qui environnent le village du prince Andronic sont très-fertiles. Dix werstes plus loin, on entre dans la partie de la Kakétie, découverte, plate, privée d'arbres, et où l'on cultive beaucoup de céréales. L'aspect en étoit peu agréable, l'excessive sécheresse de l'année ayant

nui aux grains, qui partout annonçoient une

pauvre

récolte.

Après nous être arrêtés à Dampali pour dîner, nous vinmes coucher au poste où sont placées les écuries du régiment des grenadiers de Géorgie, et le lendemain nous étions de bonne heure au camp de Moncravange. La surveille de notre arrivée, on avoit célébré la fête du colonel Yermoloff, et nous trouvâmes encore chez lui quelques-uns de nos amis de Tiflis, qui étoient venus passer quelques jours avec lui.

L'après-diner, le colonel nous engagea à une partie de chasse. Un assez grand nombre d'officiers nous accompagnoient. Des soldats placés autour de la forêt effrayoient le gibier avec le bruit de leurs tambours, et le poussoient vers un vallon où les chasseurs l'attendoient. Cependant on ne tua qu'un seul chevreuil qu'on nous servit à souper.

Le lendemain, nous partimes après diner, et nous vinmes coucher à Tiflis, le 2-14 juillet 1820. Notre logement chez Jacobskhan étant occupé par le capitaine Willock, frère du chargé d'affaires d'Angleterre à Téhéran, qui revenoit malade de Mozdok, nous trouvâmes un appartement aussi commode chez le prince Toumanoff, Arménien, dont la famille est nombreuse,

et de qui nous eûmes beaucoup à nous louer. Dans mon excursion, j'ai parlé des Lesghis: on me saura gré peut-être de donner quelques notions sur ce peuple guerrier.

Le pays occupé par les Lesghis, appelé aussi communément Lesguines, a pour limites, au levant, le Daghestan, et au midi, le Noucha; il s'étend vers le nord dans les hautes montagnes du Caucase, et est séparé de la Kakétie par l'Alazan, rivière qui se jette dans le Kour, un peu au-dessus de Mingatchaour.

Cette contrée se fait remarquer par un mélange heureux de montagnes, de vallées et de plaines, par la forte dimension des arbres qui la couvrent, par l'excessive fertilité de ses terres, l'abondance des fruits qu'on y recueille, et par le grand nombre de ses sources. L'air y est trèssalubre. Malgré les avantages dont jouit cette contrée, elle est généralement pauvre, n'ayant ni commerce ni débouchés pour ses produc

tions.

Le Lesghis est moins grand et moins beau que le Géorgien; sa figure est cependant assez régulière. Son nez est droit et pointu; il a les yeux noirs et le regard dur. Paresseux et sobre, il vit de brigandages et de la culture de ses terres. S'il falloit chercher la ressemblance du

Lesghis en Europe, on la trouveroit dans les montagnards de la Corse, ou plutôt dans ceux de la Sardaigne.

Anciennement tout le pays sur la gauche du Kour étoit exposé à leurs incursions; aujourd'hui elles n'ont lieu que rarement dans le Noucha et la Kakétie.

Si les Lesghis n'enlèvent pas plus fréquemment les soldats Russes qui s'écartent de leurs cantonnements, c'est moins pour la frayeur qu'ils leur inspirent, que parce qu'ils n'en pourroient retirer aucune rançon. Le rachat d'un Géorgien ou d'un Arménien varie, selon son plus ou moins d'aisance, de 400 à 1,200 roubles d'argent (1,600 à 2,400 francs). Ainsi ce brigandage, qui est pour eux un titre d'honneur, et un moyen d'obtenir de la considération parmi leurs concitoyens, est en même temps très-lucratif.

Pour faire connoître la différence qui existe entre le caractère de deux peuples du Caucase, également adonnés au brigandage, le Circassien et le Lesghis, je dirai que si le premier, après avoir fait quelques prisonniers, est poursuivi dans sa retraite, et qu'il ne puisse les emmener, il les abandonne sans leur faire aucun mal, pendant que le Lesghis ne làche ses captifs qu'après

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