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dérés comme sa propriété. Si une femme lui plaisoit, il envoyoit l'ordre de la lui amener, et jamais il n'éprouvoit ni refus, ni délai. Son harem se composoit de quatre femmes légitimes et de vingt concubines.

A la prise de la forteresse, on y trouva des richesses immenses; quelques sommes furent pillées, la plus forte partie servit à acquitter la solde arriérée des troupes. Toutefois, les habitants croient que le kan, prévenu de l'attaque qu'on devoit faire, a enterré la plus grande partie de ses trésors. A l'appui de cette opinion, on assure que souvent il avoit fait entrer dans sa forteresse des ouvriers pour les employer à des fouilles; et comme ils n'ont jamais reparu, tout porte à supposer qu'ils ont été sacrifiés à sa prévoyante inquiétude. Ses deux fils, un instant prisonniers chez les Russes, sont aujourd'hui retirés en Perse, et ont vraisemblablement le secret de ce trésor, si toutefois il existe.

Le kan de Ghendjé possédoit encore d'autres palais dans la ville, et à une werste de la forteresse, le long de la petite rivière de Ghendjé, il avoit un magnifique parc et des jardins, où il se retiroit pendant l'été avec ses femmes.

Son palais est aujourd'hui destiné à servir d'hôpital. Les soins qu'on y rendra aux malades

contrasteront avec les actes de barbarie dont ce même emplacement a souvent été le théâtre : on en jugera par le trait suivant :

A l'extrémité d'une très-belle allée de platanes parallèle au bazar, il y a une mosquée assez vaste. Un Tartare, qui en est le portier, et aide le mollah dans son service, est privé d'un œil. L'homme qui nous accompagnoit nous apprit la cause de cet accident. Ce Tartare, sous le règne du dernier kan, étoit un des officiers de sa maison, dont il avoit la surintendance générale. Alors, selon les règles établies dans tous les palais de l'Orient, les officiers qui traversoient les cours marchoient la tête baissée et les mains croisées sur la poitrine. Un jour ce malheureux, levant par inadvertance les yeux vers les appartements, vit le kan, et plus loin une de ses femmes. Appelé chez son maître, celui-ci lui demanda avec sévérité de quel œil il avoit aperçu la sultane. Il répondit qu'il l'avoit vue de l'œil droit. Immédiatement le kan le lui fit arracher, ce qui n'empêcha pas ce Tartare de rester attaché à sa personne et de continuer ses fonctions d'intendant. La mort de son maître lui enleva son emploi, le siége de Ghendjé détruisit ses maisons, et il est trop heureux aujourd'hui d'avoir pour subsister environ 200 roubles d'argent

(800 fr.), que lui rapporte sa place d'aide-mollah et de portier.

Au surplus, l'Asie a été de tout temps le pays où les hommes ont passé avec le plus de rapidité de l'excès du malheur à la plus haute prospérité, et d'une élévation extraordinaire à l'infortune la plus grande. Il y a là plus d'un Priam et d'une Hécube qu'on pourroit citer à tous ceux qui, en Europe, ont éprouvé des infortunes grandes, sans doute, mais bien moindres cependant que celles dont l'Asie, et la Perse particulièrement, ont si souvent offert le spectacle (1).

C'est pour échapper à l'affreux despotisme qui pèse sur cette contrée, que sept mille familles Persanes sont arrivées au mois de mai dernier (1820) sur les frontières du Karabagh,

(1) J'ai parlé tout à l'heure de la punition infligée par le kan de Ghendjé à son intendant Tartare. On doit peu s'étonner d'une pareille cruauté dans un pays où la privation de la vue est souvent considérée comme une grâce, parce qu'elle remplace la peine de mort.

Au temps de l'invasion faite dans le Mazanderan par le premier chah de Perse de la race actuellement régnante, l'eunuque Aga-Mahomet-Kan, un de ses généraux, prit d'assaut une ville défendue par les sujets fidèles à l'ancienne dynastie. Après avoir assouvi sa première fureur, le général traita avec les chefs de la ville du pardon des habitants, qui ne fut accordé que lorsqu'on lui eut remis dix livres d'yeux humains.

sous la conduite de Mustapha-Ali-Kan, en demandant un asile et des terres au général en chef. On avoit eu d'abord l'intention de les placer dans la province de Ghendjé; mais n'y pouvant disposer d'une quantité suffisante de terres, qui d'ailleurs y sont trop peu fertiles pour nourrir cet accroissement de population, on les a laissés momentanément dans le Karabagh, jusqu'à ce qu'on ait pris des dispositions définitives à leur égard.

Rien de plus extraordinaire que la vue de Ghendjé, et le mélange qu'elle offre de ruines et de bâtiments solidement construits, et dont quelques-uns ne manquent pas d'un certain luxe intérieur. Presque toutes les maisons sont bâties en argile pétrie en forme de pierres carrées. C'est un véritable pizay, non de nouvelle invention, mais de la plus haute antiquité, et

qui, dans ce climat où il pleut si rarement, se conserve pendant des siècles. Les bâtiments et les ruines sont entourés d'arbres, parmi lesquels on remarque des platanes d'une dimension gigantesque. On estime que les deux tiers au moins des maisons de Ghendjé ont été détruites à la suite des invasions nombreuses des Persans. Le gouvernement possède de magnifiques jardins provenant de la succession de l'ancien kan.

Le district entier de Ghendjé a cent werstes

de longueur sur quatre-vingts de largeur (vingtcinq lieues sur vingt, ou cinq cents lieues carrées). Le nombre des habitants est de vingt-cinq mille. La ville seule d'Elisabeth-Pol en contient douze mille. Pris en masse, il donneroit cinquante habitants par lieue carrée; réparti sur la totalité des campagnes, ce nombre ne s'élève qu'à vingt-huit.

Une population si foible, dans une contrée aussi fertile, s'explique par sa situation entre la Géorgie et la Perse, qui la rendoit le théâtre continuel de leurs hostilités, et l'objet de leurs ravages, par l'usage des nations de l'Asie d'emmener en captivité les habitants d'un pays envahi; enfin, par les vexations inhérentes au despotisme oriental, à l'intolérance et au fanatisme musulman.

Presque tous les monuments publics de Ghendjé ont été détruits. Un mauvais pont de bois remplace le pont de pierres qui existoit à peu de distance de l'autre, et dont on voit encore quelques arches. Le caravanserail, le bazar en pierres, sont seuls restés intacts, et sont occupés par de nombreux marchands. Les bazars étoient, au moment de notre passage, mał approvisionnés en soie filée et teinte, et en marchandises de Perse et de l'intérieur de la Russie.

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