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A MES CONFRÈRES

DE LA

SOCIÉTÉ NATIONALE D'AGRICULTURE

DE FRANCE

MES CHERS CONFRÈRES,

Le jour où nous avons fêté solennellement le cent cinquantième anniversaire de la Société nationale d'Agriculture de France, je vous ai promis d'écrire, d'une manière définitive, l'histoire de notre illustre Compagnie.

Voici le premier volume; il s'étend depuis la création de notre Société en 1761 jusqu'à la période troublée de 1793; le second volume est rédigé, je compte vous l'offrir prochainement en témoignage de ma reconnaissance.

Je suis heureux d'avoir pu mener à bonne fin cette entreprise qui soulevait bien des difficultés et il m'a fallu beaucoup de courage pour m'enfermer

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dans le cadre étroit de notre histoire et pour résister au plaisir de mettre en pleine lumière les travaux des hommes éminents qui, de main en main, et pendant un siècle et demi, se sont transmis le flambeau de la science agricole.

Il demeure bien entendu que je ne me suis pas appliqué à écrire l'histoire de l'agriculture française, mais l'histoire de notre institution elle-même, de ses péripéties, de ses transformations, de son influence et de ses succès.

L. P.

DE LA

SOCIÉTÉ NATIONALE D'AGRICULTURE

INTRODUCTION

LES SOCIÉTÉS D'AGRICULTURE

ET

BERTIN

CONTRÔLEUR GÉNÉRAL DES FINANCES

On a souvent dit que la situation politique, intellectuelle et matérielle de l'Europe tout entière avait été transformée par la Révolution française; mais, quand on regarde les années qui ont précédé les temps héroïques, on voit que, depuis le milieu du XVIIe siècle, l'Europe était plongée dans une agitation d'idées et de projets qui cachaient l'avènement d'un nouvel ordre de choses le renouvellement des institutions et le progrès de toutes les sciences.

Les sociétés d'agriculture furent les premiers symptômes de cette évolution.

TOME I.

1

Pendant le Moyen Age, s'étaient partout établies des institutions semblables qui constituèrent le régime féodal. De même, dans la société moderne, des institutions, qui en représentaient les intérêts et les idées, naquirent partout en même temps.

La France ne parut pas la première dans l'ordre des associations agricoles.

La Société nationale d'Agriculture de France ne fut pas la doyenne des sociétés d'agriculture de l'Europe; elle se laissa devancer par la Société économique de Berne, la Société d'agriculture de Dublin, l'Association de Bath et de l'Ouest de l'Angleterre; mais elle accompagna la Société pour l'avancement de l'agriculture en Écosse, le premier Board of agriculture en Angleterre, la Société économique de Saint-Pétersbourg, l'Académie des Géorgofiles de Florence et surtout les Sociétés américaines qui, sous l'influence de nos premiers confrères étrangers, Washington et Jefferson, s'établirent victorieuses sur les terres affranchies du Nouveau Monde. Toutes parurent dans la seconde moitié de ce XVIIe siècle qui fut, pour le monde entier, le commencement d'une ère nouvelle.

Ces sociétés, ces académies, n'étaient, à vrai dire, que des manifestations économiques dans la marche des événements, que des points de repère dans le progrès des sciences. Elles eurent des fortunes diverses, mais elles ne périrent pas dans les révolutions de la fin du XVIe siècle. Elles se soutinrent dans les cadres où les événements les avaient placées. La paix de l'Europe, en 1815, leur ouvrit de nouvelles destinées; l'avenir de la civilisation européenne les attendait.

A quel moment, sous quelles influences, avec quels hommes, les sociétés d'agriculture, en France, prirentelles naissance? On peut fixer la date et répondre : entre 1740 et 1760.

Au commencement du xviie siècle, l'agriculture était primée par le commerce. Le numéraire était considéré comme la représentation de la richesse. Cette théorie donnait à l'industrie et au commerce la première place dans les préoccupations du public et les efforts de l'Administration. La chute du système de Law modifia l'état de la propriété foncière et, par suite, dirigea les esprits vers les ressources qu'offrait le travail de l'agriculture. Puisque l'agriculture créait des richesses sans cesse renaissantes, on se demanda pourquoi ces richesses ne serviraient pas à faire vivre la nation et le Gouvernement?

L'opinion que la terre était la principale source de la richesse éclata spontanément dans des milieux différents, qui n'avaient pas, les uns sur les autres, des influences directrices.

Ces mouvements d'opinion se produisirent dans les classes supérieures de la nation. Les classes inférieures, les hommes de la campagne, étaient enchaînés par la misère, par l'ignorance, par l'enchevêtrement des liens économiques et des mesures gouvernementales; les laboureurs ne pouvaient même pas s'agiter. pour s'expliquer et se défendre.

Écoutons un homme qui fut un des témoins les plus sincères, un des acteurs les plus considérables de son temps, Lamoignon de Malesherbes (1).

(1) Mémoire sur les moyens d'accélérer les progrès de l'économie rurale en France. Lu à la Société royale d'Agriculture par M. de

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