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la nation, quand elle ne lui aurait d'autre obligation que d'avoir contribué, plus que personne, à tourner les esprits du côté des connaissances économiques.

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Vincent de Gournay mourut le 11 juin 1759, peu de mois avant que Bertin ne prît le Contrôle général; mais Bertin, grâce à ses fonctions de lieutenant de Police, l'avait connu, pratiqué, soutenu dans le Bureau du Commerce dont il faisait partie. Quand le Contrôleur général Bertin introduisit l'agriculture dans le compartiment des finances, il retrouva Vincent de Gournay dans Trudaine, et quand, plus tard, en 1763, le ministre secrétaire d'État Bertin maria l'agriculture et le commerce dans un nouveau ministère, il demeura, dans l'action du pouvoir, le successeur de Vincent de Gournay, comme il était le collaborateur de Trudaine.

Mais avant de saluer Bertin, Contrôleur général, voyons par quel concours de circonstances il prit place sur la scène de la grande politique et comment il fut amené à créer l'institution des sociétés d'agriculture.

La situation des finances était désespérée; sur terre et sur mer, en Europe et dans les colonies, la France était battue; le roi et son conseil cherchaient un Contrôleur des finances, c'est-à-dire un homme qui procurât de l'argent.

Au commencement de 1759, Boullongne, Contrôleur général, avait été remplacé, le 4 mars, par Étienne de Silhouette, Commissaire général de la Compagnie des Indes. Après avoir signalé son ministère de neuf mois par l'introduction de nouvelles combinaisons de finance, par des convulsions de la fortune publique et la contemplation impuissante des revers militaires,

Silhouette avait dû se retirer le 21 novembre. Louis XV avait près de lui un conseiller sûr et de premier ordre, Phelypeaux, comte de Saint-Florentin, plus tard duc de La Vrillière, secrétaire d'État par droit héréditaire et ̧ qui tenait, dans sa main, la maison du roi et l'administration des plus importantes provinces: Paris et Lyon. Saint-Florentin avait eu l'occasion d'apprécier Bertin qui avait été conseiller au Grand Conseil (juin 1741), maître des requêtes (avril 1745), puis Intendant du Roussillon (1750-1753), enfin Intendant de Lyon depuis 1754. Il l'avait fait agréer par le roi et pàr Mme de Pompadour en qualité de lieutenant de Police en 1757. Bertin, installé dans la place, sut la garder. «<< Il Il y avait deux personnes, dit Mme du Hausset, femme de chambre de Mme de Pompadour, qui avaient grande part à la confiance de Madame (1) », le lieutenant de Police et l'intendant des Postes. On devine ce que cela veut dire. Quand on chercha un Contrôleur général, Saint-Florentin déclara, à Louis XV, qu'il ne pouvait en trouver un plus capable, à Mme de Pompadour, un plus adroit. A la date du 29 novembre 1759, pendant la négociation, Saint-Florentin écrivait à Bertin « Vous me connaissez vray, vous connaissez mon cœur, mes sentiments et la tendre amitié que je vous ai vouée et qui ne changera jamais (2). » Le roi n'hésita pas à offrir à son lieutenant de Police les honneurs et les périls de la situation. Nous avons noté que le lieutenant de Police faisait partie du Bureau du Commerce, qui était dans les attributions du Contrôle

(1) Bussière, Henri Bertin et sa famille. Périgueux, 1908, 3o partie, p. 16. (2) Ibid.

général, et que Bertin avait eu, depuis longtemps, par l'Intendance de Lyon, des relations administratives avec l'éminent Intendant des Finances, avec Trudaine. Le choix de Saint-Florentin était justifié. L'éducation de Bertin était faite.

Bertin eut la force et l'adresse de faire quelques difficultés. On sut, dans la ville et à la Cour, que Bertin avait refusé, sous prétexte d'incapacité, mais on ne sait pas que Saint-Florentin avait écrit que le roi et Mme de Pompadour l'avaient prié d'accepter. « J'obéirai, dit-il, mais quand la guerre sera finie, je prierai le roi de me tirer des embarras où il me force à entrer. » <«< Vous connaissez bien la place », lui répondit Louis XV. En plusieurs circonstances, Bertin montra le parti qu'un courtisan peut tirer des apparences de résistance. Il fit tête au duc de Choiseul qui se hasardait à prendre à son égard un rôle d'autorité, et même aux volontés de Mme de Pompadour, quand il les estimait contraires au bien de l'État. Elle devait dire un jour de lui: «< C'est un petit homme qu'il est impossible de maîtriser. Lorsqu'on le contrarie, il n'a qu'un mot sur les lèvres : « Cela ne vous convient pas, je m'en « vais. » Ce qui n'empêcha pas Bertin d'être d'accord avec la favorite, en politique et même en finances (1), d'être son homme s'il ne fut pas son agent.

Au premier moment, au moment où s'ouvrait la crise que traversait la pénurie du Trésor, Bertin fut assez heureux; le prince de Conti, qui souhaitait de revenir en faveur, avança au Trésor 500,000 livres; mais quelques emprunts viagers ne suffisaient pas,

(1) M. de Monthion, Particularités et observations sur le ministère des Finances, Paris, 1812.

Bertin tenta de se créer des ressources permanentes avec un octroi dans les villes et les bourgades; le Parlement refusa d'enregistrer les édits. Bertin ayant appris que M. de Choiseul travaillait, avec Silhouette, à faire échouer ses projets, prévint Saint-Florentin; c'était l'occasion de la retraite prévue et désirée. Le roi fit la paix avec le Parlement en donnant le Contrôle général des finances à François de Laverdy, conseiller au Parlement. Cette retraite n'affaiblit pas le crédit de Bertin; tout au contraire; il reçut, comme on le verra. plus loin, le titre de ministre secrétaire d'État et on composa, pour lui, un département dans lequel il réunit l'agriculture et le commerce, département qu'il devait mener, avec quelques traverses, jusqu'en 1780. C'est donc l'administration de Bertin, Contrôleur général des Finances, qu'il s'agit d'envisager; car si Bertin avait échoué dans la mission impossible d'alimenter immédiatement le Trésor, il réussit à tenter une grande œuvre, en créant un nouveau ministère et, dans son ministère, les Sociétés d'agriculture, qu'il espérait transformer en agences de son administration.

Quand Bertin eut en mains le Contrôle général des finances, ses idées étaient faites sur la nécessité de créer des ressources nouvelles par l'agriculture et par la liberté du commerce. Il pensait, comme Turgot, que « la financé est nécessaire, puisque l'État a besoin de revenus, mais que l'agriculture et le commerce sont des sources ou plutôt que l'agriculture, animée par le commerce, est la source de ces revenus ».

Bertin était donc lui-même, quand Louis XV rendit, en 1761, sur sa proposition, un édit qui autorisait la libre circulation des grains et des farines dans toute

TOME I.

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l'étendue du royaume; ce qui fit dire à Voltaire que la France devait à Bertin la liberté du commerce des grains; mais où il fut encore plus personnellement lui-même, c'est lorsqu'il voulut faire créer ou créer des sociétés d'agriculture, libres ou protégées, pourvu qu'elles fussent les instruments indirects de son administration car sa pensée maîtresse fut de procurer des ressources au Trésor par le développement de la richesse publique, en suscitant un mouvement de travail et un accord de bonnes volontés dans un but financier.

Dupont de Nemours a essayé de classer les libéraux de son temps dans les deux écoles de Vincent de Gournay et du docteur Quesnay; il a classé Malesherbes avec Vincent de Gournay et il a eu raison; mais il classe Bertin dans l'école de Quesnay, probablement parce que la doctrine fondamentale de Quesnay reposait sur la prééminence de l'agriculture. La vérité est que Bertin n'était pas d'une école; il était d'abord trop politique pour se compromettre avec des gens d'esprit et de talent aussi passionnés que les amis de Quesnay. Il lui convenait mieux de rester dans son groupe avec Trudaine et ses Intendants et de demeurer, par des actes et non par des discours, le chef du groupe libéral de l'Administration royale qui cherchait à restaurer les finances de l'État, en renouvelant les sources de la fortune publique.

C'est donc par le Contrôle général des finances que l'agriculture entra dans l'Administration. Les principaux agents du Contrôleur général étaient, dans les provinces, les Intendants ou commissaires départis; à Paris, les Intendants des finances et les Intendants du

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