Page images
PDF
EPUB

Après les Sociétés, l'article qui presse le plus et sur lequel il sera nécessaire de décider, pendant qu'elles achèveront de se former, c'est celui des défrichements: le goût devient presque général en France pour ces sortes d'entreprises; il s'est fait une espèce de révolution en faveur des terres incultes, l'on défriche de tous les côtés, dans la plupart des provinces où M. le Contrôleur général a fait espérer une exemption pour les terrains nouvellement défrichés.

Il serait à propos de recueillir et d'examiner toutes les ordonnances et règlements, qui ont été faits en France, sur l'agriculture jusqu'à ce jour, afin que le Comité puisse se former des principes sur lesquels il décidera dans ses délibérations et songer aux nouvelles lois qui seront nécessaires.

Il conviendrait aussi de revoir et d'extraire toute la législation du commerce des grains, depuis François Ier jusqu'à présent, pour connaître les véritables causes de ces entraves qui ont été mises à ce commerce et pouvoir y remédier; l'on fixe cette recherche à l'époque du règne de ce prince, parce qu'il rendit le commerce des grains libre et permis de province à province dans tout le royaume, par son ordonnance du 8 mars 1539, laquelle fut suivie d'un édit qu'il donna le 20 juin de la même année et qui fut enregistré au Parlement le 31 du même mois. L'on ne trouve pas qu'il ait jamais été dérogé depuis cet édit et cependant il ne s'exécute plus.

Les péages sur les grains demandent un examen particulier, on en a supprimé la plus grande partie; comme il en subsiste cependant encore plusieurs, il serait bon d'en avoir un état. Sous le ministère de M. Colbert, il y eut un arrêt du Conseil du 2 avril 1672, qui exempta les grains de la moitié des péages : cet arrêt, qu'on ne rendit que pour le cours de la Saône et du Rhône seulement, fut cause alors que le commerce des grains se porta de ce côté-là, ce qui prouve combien ces péages le gênent; pour se délivrer de cet inconvénient, le Conseil a rendu,. le 10 novembre 1739, un autre arrêt qui exempte de tous droits de péages les blés, farines, légumes, etc., transportés dans l'intérieur du royaume, mais cet arrêt n'est point enregistré dans les cours; il serait question d'en dresser un nouveau, accompagné de lettres patentes, qu'on leur enverrait en même temps, pour procéder à son enregistrement, ou bien l'on prendrait la voie d'une déclaration du roi que l'on ferait pareillement enre-gistrer.

La libre circulation des grains dans l'intérieur du royaume est une chose pour laquelle on ne doit rien négliger. Le 17 septembre 1743, le conseil rendit un arrêt qui permit le transport des grains, farines et légumes d'une province et d'un port de France dans une autre province et port de ce royaume; à la charge de se conformer aux différents règlements faits dans les diverses provinces à ce sujet sous les peines y contenues: cette dernière clause qui ne fut point expliquée suffisamment donna de l'inquiétude et empêcha le bon effet que cet arrêt devait naturellement produire. Le 17 septembre 1754, il a paru un autre arrêt du Conseil, lequel, entre autres dispositions, ordonne que le commerce de toutes espèces de grains sera libre entièrement par terre et par les rivières de province dans l'intérieur du royaume. Ce dernier arrêt, qui n'a point été enregistré dans les cours non plus que celui dont on vient de faire mention, n'est pas encore suffisant; il semble ne regarder principalement dans le point le plus intéressant que le Languedoc et les Généralités d'Auch et de Pau.

Il s'agirait, comme pour l'article précédent, de faire rendre un nouvel arrêt du Conseil, accompagné des lettres patentes adressées aux Cours souveraines pour son enregistrement; ou de leur envoyer à ce sujet une déclaration du roi dans laquelle on rappellerait l'édit de François Ier, ci-devant cité, et qu'on y ferait également enregistrer; cette formalité lèverait toutes les difficultés qui naissent chaque jour sur cette matière, non seulement vis-à-vis des Parlements, par la raison que c'est un fait de haute police, mais encore dans les plus petits sièges ou bailliages. Ces obstacles rebutent ceux qui voudraient faire voiturer un peu plus loin les blés; souvent on voit une province en regorger ou ne trouver à les vendre qu'à vil prix pendant que les provinces circonvoisines en manquent et l'achètent fort cher. Tous les Français composent cependant une même famille et doivent être regardés comme les enfants d'un même père. Il n'est pas juste que les uns jeûnent sans que les autres puissent leur faire part d'un superflu qui se perd.

L'on ne parle pas ici de l'exportation des grains hors du royaume cette matière mènerait trop loin et ce n'est pas, attendu la guerre présente, un des premiers objets auxquels on doive s'appliquer; on aura le temps de s'en occuper dans la suite.

Le Comité ne peut se dispenser d'avoir connaissance des différentes mesures dont on se sert pour les terres dans le royaume

sous diverses dénominations et il faudra qu'il ait un état détaillé de leur composition et de leur étendue rapportées à l'arpent, la perche et la toise, mesure de Paris; il aura besoin encore d'être instruit des autres mesures usitées pour les denrées, dans toutes les provinces; rien ne l'en mettra plus promptement au fait qu'un tableau sur lequel on marquera le volume et la pesanteur de chacune de ces mesures en particulier, combinées vis-à-vis du pied de Roy et du poids de Marc. S'il n'était point éclairci de ces détails, il ne pourrait souvent décider en connaissance de cause sur plusieurs points intéressants et relatifs à la correspondance qu'il aura dans les provinces.

L'on voit tous les jours que les cultivateurs, ainsi que les marchands de grains qui sont à peine au fait de ces propositions dans leur voisinage, les ignorent dans le lointain. Cette ignorance est cause que les premiers font souvent de mauvais marchés et que les derniers tirent quelquefois des blés ou autres denrées de fort loin, pendant qu'il leur serait avantageux de les faire venir de plus près. On rendrait un grand service aux uns et aux autres, en les éclairant sur tout cela.

Tels sont les premiers objets sur lesquels on croit qu'il est à propos que le Comité délibère dans le commencement de ses assemblées. L'on ne propose ceci que comme de simples idées très faibles qu'on lui présente par zèle et qu'on soumet à son jugement (1).

Ce Mémoire justifie l'autorité prépondérante dont jouissait Turbilly en 1760 dans le Contrôle général.

Un jour, Turbilly avait écrit à Bertin qu'il serait bien utile qu'il y eût, au Contrôle général, « une réunion d'amis » pour s'occuper de toutes les questions d'agriculture. Cette réflexion tomba au moment favorable dans un terrain propice. La réunion d'amis prit le caractère officiel d'un Comité et devint un des premiers éléments d'un Ministère de l'Agriculture.

Le 23 décembre 1760, Trudaine écrivit à Turbilly pour lui annoncer le succès de ses projets :

(1) Archives Nationales, H1. 1506.

J'ai encore entretenu hier M. le Contrôleur général de ce qui concerne les sociétés d'agriculture; il désire qu'après les fêtes il y ait chez moi une assemblée composée des personnes que je vous ai nommées pour délibérer sur tout ce qui concerne cet objet intéressant. L'affaire de Tours qui, par vos soins, est la plus prête sera expédiée la première. Je le vois dans les dispositions les plus favorables.

Trudaine n'était pas moins heureux que Turbilly. Le 26, il remerciait Bertin de lui confier l'établissement de ce Comité d'agriculture « qui sera, dit-il, de la plus grande utilité ».

Le 6 janvier 1761, Bertin répliqua en donnant à Trudaine des instructions définitives.

Le roy a donné, Monsieur, une attention particulière aux projets qui ont été faits dans différentes provinces du royaume pour y former des sociétés d'agriculture, qui, s'occupant uniquement d'un objet aussi intéressant, pussent lui procurer les moyens qu'ils croiront les plus propres pour l'encourager et la faire prospérer il en a été écrit une lettre à MM. les Intendants dont vous avez connaissance; la plupart ont répondu; quelques-uns ont proposé des arrangements relatifs aux vues de Sa Majesté. J'ai pensé que pour donner à ce travail l'uniformité et la suite nécessaires, il était à propos de former chez vous un Comité qui s'assemblera un jour de chaque semaine, et dans lequel on examinera les projets formés dans toutes les Généralités, les partis qu'il conviendra de prendre pour les mettre à exécution. M. de Courteille par le travail dont il est chargé, sur tout ce qui regarde le commerce des blés, et M. de Sauvigny qui, comme Intendant de la Généralité de Paris, a une connaissance particulière de tout ce qui concerne les détails de la campagne, y seront très utiles; M. votre fils ne pourra qu'y servir aussi beaucoup, et d'ailleurs il vous sera personnellement de secours; M. le marquis de Turbilly, qui par son zèle pour l'agriculture, par les exemples qu'il a donnés dans ses terres, et l'ouvrage qu'il a publié, a contribué plus que personne à mettre en mouvement les projets des sociétés d'agriculture et à réveiller l'attention des citoyens zélés pour cet objet, voudra bien y assister aussi, et M. Parent sera chargé de tenir le registre des délibérations qui pourront s'y

prendre. Le roy, à qui j'ai proposé cet arrangement, l'a approuvé. Je vous prie d'en faire part à ceux que je viens de vous nommer, afin que les assemblées puissent commencer incessamment à se tenir (1).

Et Trudaine de lui répondre :

Il est certain qu'un Comité, composé de quelques personnes aussi respectables qu'éclairées, qui s'assembleront toutes les semaines, pour diriger, sous un même point de vue, les diverses opérations relatives à l'augmentation et à la perfection de l'agriculture, sera de la plus grande utilité. L'on croit même qu'il est nécessaire, pour tenir l'ensemble de la chose, et tourner vers le but qu'on se propose le travail des sociétés que l'on établit dans les différentes Généralités, pour s'appliquer uniquement à cet objet essentiel.

M. le Contrôleur général a décidé, avec juste raison, qu'il ne convenait point d'attribuer à celle de Paris aucune supériorité sur les autres, et qu'il ne fallait pas que le Bureau qu'elle aurait dans cette capitale fût le Bureau général d'agriculture du royaume; si on lui donnait quelque pouvoir, sur ces compagnies libres, entre lesquelles il est important de maintenir l'égalité et d'entretenir l'émulation, cela les dégoûterait et il en résulterait un mauvais effet.

Le Comité s'occupera vraisemblablement, d'abord, du soin d'achever l'établissement de toutes ces sociétés; à mesure qu'elles seront formées, il leur indiquera la route que le roy désire qu'elles prennent, chacune en particulier dans le commencement, relativement à leur climat, à leur position, au sol de leurs fonds, à ses productions, au génie des habitants et aux autres considérations intéressantes.

Cette attention est d'autant plus indispensable, que, dans les premiers temps, nos sociétés n'écoutant que leur zèle, pourraient embrasser trop d'objets à la fois, et ne pas se tourner vers ceux qui demandent d'être traités de préférence. Telle province, par exemple, ayant besoin qu'on s'attache principalement aux blés et aux prairies artificielles, pendant que telle autre exige d'abord des soins pour la culture des vignes ou la nourriture 'des bestiaux.

(1) Archives Nationales, F10 258.

« PreviousContinue »