Page images
PDF
EPUB

CHAPITRE VI

CHUTE DE LOMÉNIE DE BRIENNE.

NECKER LIQUIDE LES

DETTES DE LA SOCIÉTÉ ET RÈGNE SUR ELLE PAR L'ENTREMISE

DE DAILLY ET DE BROUSSONET.

SÉANCE SOLENNELLE DU

28 DÉCEMBRE 1788.

Nous reprenons l'histoire de la Société, dont nous avons suspendu un instant le cours pour publier et examiner le règlement de 1788 et tracer le tableau du nouveau personnel. Nous nous sommes arrêtés après la séance du 10 juillet 1788, qui consacra l'installation de la Société à l'Hôtel de Ville, avec le concours du premier ministre, à cette heure Loménie de Brienne. La Société semblait pouvoir compter sur la faveur et la justice du ministère; mais la caisse du Trésor était à sec comme celle de la Société. L'archevêque de Toulouse, par son impuissance financière, était contraint de donner sa démission. C'était un grave échec pour l'influence de Bertier de Sauvigny; c'était une bonne fortune pour la Société d'Agriculture.

Le 20 août 1788, Necker revient au pouvoir, il est ministre des Finances et secrétaire d'État. Tous les vœux de la nation se tournent vers le nouveau ministre comme on attend les rayons du soleil après un long et désastreux orage. Cette image, empruntée à Rabaud de Saint-Étienne, peint les impressions auxquelles

s'abandonnaient tous les Français et que subissaient la plupart des membres de la Société d'Agriculture.

En effet, Dailly, au nom de la Société, fut chargé de faire immédiatement une démarche auprès du nouveau ministre, pour qu'il ratifiât les promesses de son prédécesseur et qu'il accordât au moins à la Société une somme de 3,000 livres, pour couvrir les frais de la séance publique, qui devait être tenue au mois de décembre. L'affaire de la subvention annuelle était réservée.

D'autre part, lorsque, après le 30 mai 1788, la Société cessa de tenir ses séances chez Bertier de Sauvigny, elle reçut les réclamations de plusieurs créanciers pour fournitures et travaux divers. Lefebvre, agent de la Société, répondit que ces fournitures et travaux ayant été ordonnés par l'Intendant de Paris, qui, seul, avait alors le maniement des fonds accordés à la Société, c'était à cet administrateur qu'on devait s'adresser. Bertier refusa de payer, non qu'il méconnût la dette, mais parce qu'il se trouvait alors dans l'impossibilité de l'acquitter. Les créanciers retournèrent auprès de Lefebvre, auquel le règlement de 1788 avait conféré les fonctions d'agent général; celui-ci, instruit du refus de l'Intendant, saisit la Société de ces réclamations, dont le total s'élevait à 14 100 livres. Bien que les membres de la Société fussent convaincus, qu'en droit, on ne pouvait les contraindre à payer, ils se refusèrent à faire éprouver la plus légère perte à des ouvriers et à des fournisseurs de bonne foi. Pour arriver à cette liquidation, avec les ressources fort restreintes dont ils disposaient pour la tenue de la séance annuelle, ils arrêtèrent que les jetons distribués précédemment aux

membres présents aux séances, et dont la valeur était de 5 livres 16 sous, seraient, à l'avenir, réduits à 3 livres, et que les jetons des absents ne profiteraient plus aux présents, « ainsi que cela se pratiquait dans toutes les Académies » (1).

Pour compléter la réorganisation de la Société, le Gouvernement devait lui accorder une subvention annuelle de 12 000 livres, pour couvrir toutes ses dépenses; mais il n'avait pu donner aucune suite à ses engagements. La Société chargea Dailly de présenter à Necker un Mémoire qui rappelait sa création, ses travaux, les travaux des Comices agricoles, et les charges que lui avait imposées l'organisation nouvelle du 30 mai. «Les assemblées, disait ce Mémoire, se tiennent à « l'Hôtel de Ville. Le corps municipal a bien voulu pro<< mettre de contribuer aux prix que la Compagnie doit <«< distribuer tous les ans, conformément à ses règle«<ments. L'Administration provinciale a fait les mêmes offres, ainsi que plusieurs particuliers; mais la Société <<manque de fonds pour suffire à la dépense qu'exigent : « 1o Les jetons distribués aux membres comme dans «<les autres compagnies, comme gage de leur assiduité; « 2o L'impression de ses Mémoires dont elle a déjà publié plusieurs volumes;

[ocr errors]
[ocr errors]

« 3o Sa correspondance qui est très étendue.

« La Compagnie n'ayant rien reçu depuis environ un «an, a été forcée de contracter quelques dettes peu «< considérables, mais qu'il ne lui est pas possible

d'acquitter, si le Gouvernement ne vient point à son <«< secours... Il est essentiel d'observer que ni les

(1) Lefebvre, Compte rendu, vol. 14, p. 103-104.

<«< membres ni les officiers de la Compagnie ne pré«< tendent à aucune espèce d'émolument (1).

[ocr errors]

Necker, sur le vu du Mémoire de la Société et sur les instances de Dailly, qui avait toute sa confiance, accorda facilement, le 15 octobre 1788, d'abord, la subvention de 3000 livres demandée pour les dépenses de la séance publique; puis, il fit signer, le 19 décembre, par le roi, une décision qui accordait à la Société, à compter du 1er octobre 1788, les fonds jadis promis de 12000 livres. Le Ministre s'engageait, [en outre, à seconder le zèle et les efforts de la Société, toutes les fois qu'elle lui en démontrerait la nécessité, reconnaissant que la subvention de 12 000 livres n'était pas en rapport avec les encouragements « qu'il était de l'intérêt public de donner à l'agriculture (2). Necker faisait un coup de maître. Il avait bien senti qu'au point de vue politique, la liquidation de l'administration de Bertier de Sauvigny lui assurait la reconnaissance d'un groupe important du monde scientifique, et, pour accentuer sa politique de popularité et de prépotence financière, il fit annoncer que les Mémoires destinés à la Société devaient être envoyés sous son couvert, s'ils ne l'avaient pas été sous le couvert du secrétaire perpétuel.

[ocr errors]

Un mois après, le 28 novembre 1788, la Société, installée définitivement dans la grande salle de l'Hôtel de Ville, tint sa séance publique. Necker est présent. Les membres se font honneur de l'entourer. L'assistance est aussi nombreuse que brillante.

Broussonet prend la parole: « La Société, dit-il,

(1) Archives nationales, H. 1501.

(2) Mémoires de la Société, vol. 14, p. 6, 7 et 20.

((

[ocr errors]

« s'est trouvée jusqu'à présent, par son institution, << restreinte à s'occuper des connaissances agricoles << particulièrement convenables aux divers cantons qui << avoisinent la capitale; elle est appelée actuellement « à étendre ses recherches sur toutes les provinces du royaume. Parmi les époques dont elle se plaira tou« jours à conserver le souvenir, la Société compte sur<< tout l'époque où elle s'est trouvée rapprochée de la première municipalité du royaume qui l'a admise <«< dans ses foyers, accueillant ses demandes avec l'em«< pressement dont on sollicite une faveur. » L'éloge des membres de l'Administration municipale et de M. de Morfontaine prévôt des marchands suit naturellement. « Nous l'avons dit l'année dernière et nous <«< nous empressons de le répéter aujourd'hui : la So«ciété s'est fait une loi de ne transmettre aux labou<< reurs des procédés nouveaux ou peu connus qu'après << l'examen le plus scrupuleux, et des expériences faites << sous ses yeux ou dirigées par quelques-uns de ses << membres.

« Parmi les grands exemples offerts dernièrement << aux agriculteurs, on peut compter la plantation de << la pomme de terre qui a eu lieu dans la plaine des << Sablons ce furent deux arpents, l'année suivante «< 40 arpents. En 1786, mille sacs de ces racines ont «< été distribués aux pauvres de la capitale. Les essais << dont je viens de parler ont été faits sous les yeux << d'un de nos confrères qui a contribué si puissam<< ment à propager parmi nous la culture des pommes « de terre et que sa modestie me défend de nommer. » A ce moment les applaudissements durent éclater. A l'éloge de Parmentier, succéda l'éloge des Comices.

« PreviousContinue »