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On objectera peut-être contre cette disposition que l'agriculture veut être libre, et qu'on ne saurait commander à des compagnies composées de citoyens qui ne sont point obligés à l'obéissance dans cette partie; aussi ce sont des conseils et non des ordres, qu'on entend leur donner, et l'on ne prétend pas les gêner en rien; mais comme ces citoyens se trouveront remplis de bonne volonté, quand on leur marquera que Sa Majesté souhaite qu'ils fassent quelque chose pour le bien public, auquel ils se sont voués, ils s'y porteront sûrement avec plus d'empressement encore, que si on le leur ordonnait avec droit de s'en faire obéir; ce serait ne pas connaître notre nation que de penser

d'eux différemment.

Ce Comité, qui n'agira que sous l'autorité du ministre des Finances, qui en sera le chef, lui épargnera bien des détails dans lesquels ses autres occupations ne lui permettent souvent pas d'entrer; il examinera les matières, en délibérera, marquera son avis, et les lui présentera toutes prêtes à décider; il envisagera l'agriculture dans le grand et pour le bien général de l'État, sans acception pour aucune province de préférence, partialité dont les sociétés de chaque Généralité ne sauraient être exemptes, étant naturel qu'elles pensent aux intérêts de leur territoire, avant de songer à ceux du corps entier de la Monarchie, qui aura quelquefois des besoins plus pressants et d'une autre conséquence.

Le Comité tiendra la balance entre toutes ces sociétés sur lesquelles il veillera, il aura soin de protéger et d'encourager l'agriculture, il tâchera de la dégager des entraves qui la gênent, et de surmonter les obstacles qui s'opposent à ses progrès. Il proposera les nouvelles lois dont elle a besoin, nos anciennes, qui tiennent du Gouvernement féodal, ne la favorisant pas assez; mais parmi ces nouvelles lois, il ne placera point de règlements prohibitifs, attendu qu'ils produiraient les plus mauvais effets; enfin il recherchera soigneusement tous les moyens capables de hâter le succès de son entreprise dont la réussite est certaine; si les fruits n'en sont pas considérables d'abord, l'on en sera bien dédommagé par la suite c'est de la semence qu'il faudra laisser germer, croître et mûrir, avant d'en faire la récolte.

La nation agréablement prévenue par le bruit de l'établissement des Sociétés d'agriculture, qui sont fort de son goût, verra avec joie ce Comité, qui ne peut commencer trop tôt,

par mille raisons; il lui fera sentir que le Gouvernement a véritablement dessein de soutenir ces sociétés et de rétablir la culture des terres, malheureusement trop négligée depuis longtemps en France.

L'agriculture ne sera plus, comme par le passé, dépourvue de secours.

Espérons que, pour achever d'honorer l'agriculture, et d'y porter tout le monde, le roy voudra bien se déterminer quelque jour, sur les instances des cultivateurs, à former un Conseil royal d'agriculture, dont il sera lui-même le chef; l'on en a bien créé un pareil pour le commerce; il paraîtra toujours surprenant qu'auparavant d'établir ce dernier, l'on n'ait point fait le premier, puisqu'il était naturel de s'occuper de la cause avant de pourvoir à l'effet (1).

Le nouveau Comité fut convoqué immédiatement et se réunit le dimanche 11 janvier 1761. Trudaine informa ses nouveaux collaborateurs des ordres du roi et des instructions de Bertin.

Une note de Trudaine fixa les rôles, suivant le conseil de Turbilly:

M. Parent tiendra les registres.

Recueillir et examiner toutes les ordonnances et règlements sur l'agriculture M. l'abbé Bertin et M. le marquis de Turbilly. Revoir et extraire toute la législation du commerce des grains, depuis François Ier jusqu'à présent M. l'abbé Bertin et M. le marquis de Turbilly.

Examiner les péages sur les grains M. de Montigny.

Faire un état détaillé des différentes mesures des terres : M. Parent.

Dresser un tableau contenant les mesures usitées pour les denrées, dans toutes les provinces : M. Parent (2).

Ce fut Parent, premier commis des finances, qui. réunit, au Contrôle général, les correspondances des sociétés d'agriculture, car il est intéressant de noter

(1) Archives Nationales, F10 258. (2) Archives Nationales, F10 258.

que Bertin autorisa les sociétés d'agriculture à correspondre directement avec lui, sans qu'elles fussent obligées de passer par les Intendances.

Il semble bien, d'après cet ordre de travail, que le Comité d'agriculture ne devait pas seulement centraliser les nouvelles qui arrivaient de la province et les questions touchant l'organisation des sociétés d'agriculture, puisqu'un ordre de service fixait à certains membres du Comité des attributions particulières.

Nous le répétons, il est de toute justice de reconnaître que, dans les derniers mois de 1760, Turbilly fut, au point de vue administratif, l'âme de l'administration du Contrôle général comme sa Société de Tours fut le modèle des autres Sociétés d'agricul

ture.

Dans un rapport adressé par Trudaine, mais annoté par Bertin, peut-être rédigé par Parent et postérieur de quelques années à la création du Comité de 1760, on lit ce passage, qui explique le plan préparé et exécuté par le Contrôle général.

<«< Au milieu de la guerre dernière et lorsque l'attention de toute l'Europe était fixée sur les progrès des ennemis dans l'Amérique septentrionale, on crut devoir rappeler la nation française aux travaux de l'agriculture dont elle paraissait avoir négligé les avantages. On s'occupa d'abord du soin de faire répandre des livres bien faits sur l'amélioration de la culture des terres, sur le profit qu'on devait en retirer et sur l'espèce. d'abandon où l'on avait laissé l'agriculture depuis un siècle. Ces ouvrages firent beaucoup de sensation et le moment arriva d'en profiter. Le plan que l'Administra

tion se proposa fut, en premier lieu, d'encourager les propriétaires des terres et les fermiers à faire des efforts pour augmenter leurs travaux et les produits de leurs fonds, soit en répandant plus d'engrais sur les terres par la multiplication des bestiaux, soit en défrichant les terres incultes dont l'étendue formait alors des déserts dans les plus belles provinces du

royaume.

«En second lieu, l'Administration se proposa d'entendre les cultivateurs eux-mêmes sur l'espèce des encouragements qu'ils désiraient obtenir.

<< Pour cet effet, il fut établi, en 1760, un Comité composé de cinq Conseillers d'État et de trois particuliers, que leur zèle et leur expérience dans l'agriculture avaient fait connaître avantageusement. Il fut présidé par le ministre du roy ayant le département de l'Agriculture.

<< Ce Comité s'assembla régulièrement toutes les semaines, pour correspondre avec les Intendants des provinces auxquels on envoya les questions dont les réponses devaient faire connaître l'état de la culture des terres dans leur généralité.

<< On leur proposa, pour les soulager dans ce travail, de former auprès d'eux des Sociétés d'agriculture où ils appelleraient, parmi les propriétaires, ceux qui seraient les plus distingués dans leur province par l'étendue de leurs possessions et par leurs lumières sur la meilleure manière de les cultiver.

« Ce plan réussit autant qu'on pouvait l'espérer. On parvint successivement, et dès l'année 1762, à former, dans 21 généralités, 18 Sociétés d'agriculture dont les membres ne s'occupèrent plus que du soin d'encou

TOME I.

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rager les peuples à la culture par leurs leçons et encore plus par leurs exemples. Toutes ces Sociétés furent établies, chacune par des arrêts du Conseil, dans lesquels leurs membres furent nommés et cette distinction ne fut pas un des moindres véhicules à leur empressement. >>

Parmi les Sociétés d'agriculture en préparation dans le second semestre de 1760, les deux premières qui reçurent la consécration royale furent la Société de Tours, organisée par Turbilly, et la Société de Paris, par Bertier de Sauvigny.

Pendant que Turbilly mettait sur pied la Société de la Généralité de Tours, il s'était occupé, en même temps, de la Société de la Généralité de Paris, quoique Bertier de Sauvigny en ait été le véritable promoteur et ordonnateur. Les arrêts du Conseil relatifs à la Société de Tours (24 février) et de Paris (1er mars 1761), furent rendus presque au même moment, sur le rapport de Bertin. Le 12 mars, la Société de Paris se réunit à l'hôtel de l'Intendance de Paris; Bertier de Sauvigny fonctionnait en qualité de commissaire du roi ; il donna communication aux membres choisis par le roi du règlement de la future Société; mais ce fut Turbilly qui ouvrit la séance du 12 mars, par une lecture sur la création des Sociétés royales d'Agriculture dans les différentes Généralités du royaume. Cette lecture fut dans la bouche de Turbilly l'exposé de la politique de Bertin. Elle donne l'impression d'une déclaration de Gouvernement.

L'établissement des Sociétés d'agriculture dans les différentes Généralités du royaume a deux objets :

Le premier, d'étudier par une pratique constante les meilleures

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