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façons de cultiver les terres, relativement à chaque province et à chaque canton; d'employer les diverses espèces de fonds aux genres de productions auxquelles ils sont les plus propres; de donner connaissance au public de leurs expériences, afin que leurs découvertes, même celles que d'autres citoyens auraient faites, après les avoir constatées; d'exciter dans le pays, principalement par leur exemple, le goût pour l'agriculture; et de répandre dans la nation des lumières sur cette matière importante.

Le second objet de ces sociétés, est de proposer au Gouvernement, chacune pour la province dans laquelle elles seront établies, les faveurs et les secours qu'elles croiront les plus propres à ramener le goût de l'agriculture et à la faire prospérer. Ce second objet demande beaucoup de prudence et de ménagement: il est des choses qu'on peut faire dans un temps et qui sont impossibles dans un autre. On peut compter sur la bonne volonté du roi et de ses ministres : mais chaque société ne doit faire aucune proposition incompatible avec les besoins actuels de l'État; elles doivent éviter surtout les vaines déclamations qui ne tendent qu'à grossir les inconvénients aux yeux du public, sans fournir les moyens d'y remédier.

Elles éviteront encore, avec beaucoup de soin, de proposer aucun des moyens qui pourraient porter quelque atteinte à la libre propriété des biens, et à la liberté entière que doivent avoir les propriétaires, de les gérer et de les administrer, comme ils le jugent à propos : ce sont des conseils et des secours qu'on veut leur donner, en évitant scrupuleusement tout ce qui pourrait avoir l'apparence de gêne.

Pour que les sociétés puissent atteindre le but qu'elles se proposent, il est essentiel qu'elles gagnent la confiance du public et principalement celle des cultivateurs; elles ne sauraient l'acquérir que par une conduite sage et circonspecte: il vaut mieux aller pas à pas et marcher sûrement.

Une telle institution doit produire, dans la suite, les meilleurs effets, ils seront presque insensibles d'abord; mais ils iront toujours en augmentant, et l'on espère que les fruits en seront considérables dans quelques années. Cette entreprise de longue haleine ne peut s'effectuer que lentement. C'est un plan dont l'exécution dépend autant de la confiance que de l'habileté de ceux qui le suivront.

Les sociétés doivent donc s'attacher à traiter avec ordre les

objets destinés à les occuper; se prescrire cet ordre elles-mêmes, en commençant par ceux de ces objets qui sont les plus simples, les plus faciles et les plus utiles à la province : le succès dans quelques parties sera très propre à inspirer la confiance sur les

autres.

On croit qu'à moins qu'il n'y ait des raisons, fondées sur le local, qui déterminent à s'occuper par préférence de quelques objets particuliers, on doit s'appliquer d'abord à ce qui concerne les labours, tant à la main qu'à la charrue, des terres destinées à porter des grains, en examinant les différentes méthodes usitées jusqu'à présent; les outils dont on se sert, tout ce que l'on peut y ajouter de perfection; passer ensuite aux engrais et amendements qu'il est le plus avantageux de donner à ces terres; puis à ce qui concerne les semailles et les diverses façons de les faire.

Les prés mériteront ensuite une attention. très particulière, tant pour examiner les moyens de tirer le meilleur parti des prairies naturelles, que pour multiplier les prairies artificielles.

Ce qui concerne les bestiaux sera l'objet d'un travail fort étendu et de la plus grande utilité, en le suivant dans toutes les espèces, même les volailles de basse-cour, les colombiers, les mouches à miel, etc.

On pourra s'occuper ensuite des vignes, des bois, des chanvres, des lins, des arbres fruitiers, et de toutes les autres cultures; enfin des défrichements, et de tous les moyens possibles de tirer parti des terres restées incultes jusqu'à présent, sans préjudicier àux anciennes cultures.

En traçant cette légère esquisse, on ne prétend ni gêner la liberté qu'auront les sociétés, ni leur prescrire aucun ordre, mais seulement leur indiquer les matières qui doivent les occuper pour remplir les vues du Gouvernement.

Le système de ces sociétés doit être de n'en adópter exclusivement aucun, parce que certaine pratique, bonne dans un lieu, ne vaut souvent rien dans un autre. Les gens de la campagne sont fort attachés à leurs anciens usages, et l'on a beaucoup de peine à les leur faire quitter; ce n'est que peu à peu que l'on en vient à bout. Les nouvelles cultures, qui leur ont été proposées jusqu'à présent, ont peu réussi, et n'ont servi qu'à les dégoûter de ces fortes tentatives, pour lesquelles ils témoignent un éloignement singulier. Il paraît à propos de ne leur présenter les nouveautés qu'on jugera utiles qu'après les avoir si fort éprouvées

sous leurs yeux qu'une grande partie d'entre eux désire les suivre.

Les sociétés n'auront point de vue de tourner leurs travaux en écritures. Ces compagnies différentes des Académies doivent s'occuper bien plus de la pratique que de la théorie, elles observeront, dans les ouvrages qu'elles publieront, d'être fort laconiques sur les choses de la spéculation et de ne donner de détails que sur leurs expériences, et dans un style à la portée de tout le monde.

On reproche communément, aux habitants de nos campagnes, de ne point lire les ouvrages économiques; mais cela vient peut-être de ce qu'on ne s'est pas assez occupé de les mettre à leur portée, ils ne profitent que des instructions qu'ils comprennent.

Les hommes, et surtout ceux de cet état, se persuadent bien plus par ce qu'ils voient que par ce qu'ils lisent, et l'exemple est le plus fort de tous les encouragements.

Les Sociétés établies dans les Généralités du royaume réuniront en diverses compagnies, un nombre de citoyens éclairés et zélés, qui travailleront de concert, uniquement par honneur, au bien général, dans la partie la plus essentielle, sans qu'il en coûte rien au roi, ni à l'État.

Ce discours de Turbilly résume le caractère des institutions qu'on cherchait à susciter sous le nom de Sociétés d'agriculture.

Dans le règlement, suivi d'un nouvel arrêt du Conseil, Bertin avait fait réserver, aux membres nommés par le roi, le droit de compléter la Société par l'élection de nouveaux associés. Sous l'influence de Bertier de Sauvigny, de Turbilly et de Palerne, nommé secrétaire perpétuel par le roi, la Société de la Généralité de Paris inscrivit sur la liste de ses membres le comte de Saint-Florentin, Bertin lui-même Trudaine, Intendant des Finances, Courteille, l'abbé Bertin, de Montigny et Parent, c'est-à-dire tous les membres de la Commission d'agriculture établie par

Bertin au Contrôle général des Finances, sur la demande de Turbilly. Une lettre de Turbilly datée d'octobre 1761 complète le tableau de ses efforts et de ses succès (1).

J'ai reçu, Monsieur, la lettre que vous m'avez fait l'honneur et le plaisir de m'écrire, le 22 de l'autre mois. Je vous envoie ciinclus l'arrêt du Conseil pour encourager les défrichements que vous me demandez; je ne doute pas qu'il ne produise un bon effet, parce que si l'on trouve l'exemption trop courte, on sera toujours à même de la prolonger au bout de 10 ans; j'ai cru gagner beaucoup en obtenant cette première faveur, sur un objet aussi important, pour lequel il n'avait encore été rien fait; on n'arrive pas au mieux tout d'un coup, il faut aller doucement, marcher toujours et l'on y parvient enfin.

Je vous ai ci-devant marqué que l'on avait pris en considération ce qui regarde la liberté du commerce des grains, et qu'on s'en occupait; c'est une chose extrêmement intéressante.

J'espère que vous serez content des essais que vous comptez faire, en semant cette année de l'orge, du lin et de l'avoine d'hyver; il est surprenant que leur culture ne soit pas d'usage dans votre canton, elle n'est pas difficile, puisqu'il s'agit que de bien préparer la terre et de la fumer, comme pour les autres grains. L'avoine d'hyver se passeroit cependant plus aisément d'engrais que l'orge et le lin en question; ce dernier surtout exige non seulement du fumier, mais encore de la terre un peu pesante.

Le procès dont vous me marquez que vous êtes menacé de la part du Chapitre de Chartres, qui prétend exiger de vous la dîme des prairies artificielles me paraît singulier. Je pense comme vous qu'il serait à désirer que par une loi générale on exemptât de dîmes toutes les prairies artificielles, attendu leur utilité; lorsque votre Société royale d'Agriculture d'Orléans s'assemblera, vous pourrès lui proposer de demander si elle juge à propos celte loi.

J'ai l'honneur de vous envoyer aussi ci-joint, Monsieur, le Recueil imprimé qui contient tous les arrangements de la Société royale d'Agriculture de Paris, ses délibérations et les Mémoires publiés par son ordre; il servira d'un guide sûr aux autres

(1) Conservée dans les Archives de la Société.

pareilles Sociétés qui existent déjà et facilitera beaucoup un semblable établissement dans les Généralités où il n'est point encore achevé, et où M. le Contrôleur général compte l'envoyer, en l'adressant à MM. les Intendants.

Ce Recueil produira d'ailleurs plusieurs bons effets que vous sentirez aisément; je l'ai envoyé à M. Mich el pour votre Société de la part de celle de Paris et ceci sans que j'attendois son impression, je vous aurois répondu plus tôt.

Continuez, je vous prie, à me faire part de vos travaux et de vos judicieuses observations sur tout ce qui a rapport à l'agriculture; je tâcherai d'en profiter pour le bien de l'État, qui est l'unique but que je me propose.

Agréez, s'il vous plaît, le renouvellement des assurances qu'on ne peut rien ajouter aux sentiments avec lesquels j'ai l'honneur d'être, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

Après avoir rendu à Turbilly, l'homme de Tours et l'homme de Paris, tous les honneurs d'une féconde initiative, marquons, avec reconnaissance, l'action soutenue de Trudaine sur tous les Intendants, c'est-àdire dans toutes les Généralités du royaume. Il est juste de noter, comme exemple, la conduite de Pajot de Marcheval, Intendant du Limousin. Ce dernier, après deux années d'études dans sa Généralité, créa une société d'agriculture avec tous les gens éclairés et zélés de Limoges. Les assemblées régulières se tinrent, dès 1759, à l'hôtel de l'Intendance. « Je les préside », disait l'Intendant, et, naturellement, la Société de Limoges méritait, une des premières, d'être constituée par un arrêt royal (1). Elle le reçut, le 12 mai 1761, en même temps que la Société d'agriculture de Lyon, qui se forma tout particulièrement sous les auspices et même par

(1) Labiche, Les Sociétes d'agriculture au XVIII° siècle, p. 18. Les Archives nationales ont fourni les bases de cet intéressant mémoire.

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