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de l'acclimatation et par suite de la nécessité d'entretenir des relations suivies avec les colonies. Ce n'est plus le Broussonet de 1789 et de 1790 qui parle, c'est le député de l'Assemblée législative qui gémit : « Si, tout à l'heure, entraîné par l'impulsion de mon cœur, j'ai, en parlant de l'agriculture, parlé quelquefois de la liberté, c'est que, les voyant si près l'une de l'autre, il m'était autant impossible de les séparer qu'il l'est à une âme honnête de jouir froidement d'un bienfait sans en parler quelquefois. »

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Ses confrères, ses amis, groupés autour de lui, firent entendre encore une fois des petits discours agricoles qui accompagnaient chaque année le Compte rendu de Broussonet. L'abbé Lefebvre lut un Mémoire sur l'éducation des vers à soie (1), Parmentier sur la culture de quelques végétaux exotiques dignes d'être introduits en France, Boncerf sur les desséchements de la vallée d'Auge (Calvados); Dubois sur la méthode à suivre pour l'amélioration d'une propriété rurale; Rougier de la Bergerie sur la culture de la vigne.

Si cette séance ne paraît pas avoir eu l'animation que donnaient la présence des présidents officiels et la compagnie des dames du grand monde, du moins la Société entendit les échos des agitations politiques, grâce à la parole émue et patriotique de Broussonet, continuant d'ailleurs à maintenir son rôle avec persévérance en honorant, par des médailles d'or, les mérites les plus divers.

Parmi les médailles d'or que la Société décerna à la

(1) Cet important Mémoire, qui résume l'histoire des recherches et des expériences faites sur la culture des vers à soie, a été publié par Lefebvre, à la suite de son Compte rendu de 1793, p. 325.

séance du 28 décembre 1791, nous signalerons les noms de:

Duvaure, correspondant de la Société à Crest (Drôme), auteur de divers ouvrages sur l'art agricole, de communications à la Société et d'expériences sur divers genres de culture;

Heurtault de Lammerville, correspondant de la Société à Dun-le-Roi (Cher), ci-devant député à l'Assemblée nationale; Heurtault de Lammerville avait formé dans le royaume le troupeau le plus considérable de bêtes à laine superfine, de race espagnole. Membre du Comité d'agriculture, il avait fait plusieurs rapports sur la question des défrichements et dans le sein de l'Assemblée nationale pris constamment le parti des cultivateurs;

De Villeneuve, correspondant, voyageur agronome, auteur du Mémoire sur l'unité des poids et mesures et du meilleur ouvrage sur la culture du tabac, auquel l'Assemblée nationale a témoigné son estime;

Delporte, correspondant, cultivateur à Pernes, district de Boulogne, département du Pas-de-Calais, éleveur d'un troupeau considérable de bêtes à laine qu'il a tiré d'Angleterre et qu'il a perfectionné depuis 17 ans ;

Berthollet, de l'Académie des sciences, juge de paix à Aulnay près de Bondy, auteur de l'un des ouvrages les plus savants sur la teinture et les nouveaux procédés sur le blanchiment des toiles;

Chemilly, correspondant à Bourneville (Oise), pour ses croisements de moutons anglais à laine longue avec les mérinos d'Espagne, pour ses importations de bêtes à cornes de bonnes races anglaises et son élevage de chevaux sélectionnés.

3*2 HISTOIRE DE LA SOCIÉTÉ NATIONALE D'Agriculture.

On peut encore citer un bélier et une brebis offerts en présent à M. Hell, cultivateur et sylviculteur émérite, le fidèle correspondant de la Société et l'ancien membre de l'Assemblée nationale et du Comité d'agriculture. Les plus célèbres ne dédaignaient pas ce présent.

Comme la Société ne tint pas de séance publique en 1792 faute de fonds, il est intéressant de reproduire les conclusions du programme qui termina la séance de 1791: « La Société distribuera aussi, dans sa séance publique de 1792, plusieurs médailles d'or aux personnes qui auront contribué, d'une manière évidente, aux progrès de l'agriculture et au bonheur des laboureurs. Elle engage spécialement les cultivateurs du royaume à lui faire connaître les citoyens qui auront rempli, à cet égard, les vues de la Compagnie; elle distinguera surtout ceux qui auront fait des plantations d'arbres, favorisé la multiplication des bêtes à laine de races choisies, perfectionné les races de bêtes à cornes, de chevaux, ou introduit dans les cantons qu'ils habitent quelque culture nouvelle ou quelque procédé qui y était auparavant inconnu et qui ne se trouvera pas indiqué dans ce programme. Les communications devront être adressées, sous le couvert du ministre de l'Intérieur, à M. Broussonet, secrétaire perpétuel de la Société. »

༣,

CHAPITRE X

L'ANNÉE 1792.

BROUSSONET, ROUGIER DE LA BERGERIE ET

TENON A L'ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE.

LA QUESTION DES

FORÊTS ET DES MOUTONS DEVANT LA SOCIÉTÉ ET LE COMITÉ

D'AGRICULTURE. LE 20 JUIN ET LE 10 AOUT.

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SUSPEN

ASSASSINAT DE LA

Nous sommes arrivés au premier janvier 1792 et nous répétons les paroles prophétiques que Broussonet, la veille, avait fait entendre: « Le fanatisme a fait à lui seul plus de mal que les autres maux réunis; malgré ces maux précurseurs de maux bien plus grands encore, le sol de la France est fertilisé par l'engrais de la liberté. » Cuvier, dans son éloge, a relevé ces paroles et dit justement : « Broussonet, découragé par le spectacle de tant de folies et d'ingratitudes, exhala le chagrin amer qui s'empara de lui, dans ses derniers. discours à la Société d'Agriculture. »

Et pourtant il ne s'agissait que des événements de 1791, de l'état des esprits après la fuite du roi et son arrestation à Varennes; mais Broussonet sentait bien que l'avenir appartenait à la Révolution, que Paris était perdu pour lui et ses opinions et que l'Assemblée législative, suivant les expressions de Cuvier, laisserait écrouler sur elle le trône qu'elle avait juré de maintenir.

Il est certain que le départ du roi, son arrestation et son retour forcé à Paris avaient été le signal, dans toute la France, d'une agitation redoutable et toujours grandissante. Le roi et la reine avaient échoué dans le projet de s'enfuir et de trouver, dans le concours des puissances étrangères, des espérances d'arbitrage avec leurs adversaires.

Ramenés prisonniers à Paris, le roi et la reine crurent qu'ils pourraient essayer de vivre avec la Constitution sans rien faire pour en faciliter le fonction

nement.

Illusion naturelle et fatale! Au commencement de 1792, le roi se vit obligé de livrer l'administration au parti Girondin; mais ce parti Girondin, dont Roland ministre de l'Intérieur était l'âme, ne parvint nulle part, en France, à calmer les passions ardentes à la bataille.

Depuis la fuite de Varennes, les idées républicaines avaient fait d'immenses progrès; la pensée que la royauté s'était suicidée et que la République était son héritière, alimentait les complots dont Paris allait être le siège, pour donner finalement le gouvernement à une nouvelle Commune contre et sur la représentation nationale.

Encore quelques instants et nous arrivons à l'insurrection du 20 juin, à l'envahissement des Tuileries et, six semaines après, à la journée du 10 août, à la chute de la royauté.

Au milieu de tant d'événements, de conflits et de passions, depuis le mois de septembre 1791, jusqu'au mois d'août 1792, qu'allait devenir la Société Royale d'Agriculture? Retirée dans le palais du Louvre, à côté

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