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avec réserve, nous l'avons dit. Les Académies, fondées entre 1750 et 1760, avaient eu peur de voir s'élever à côté d'elles des rivales qui auraient menacé leurs privilèges et leur clientèle. Ces craintes s'étaient dissipées. par les déclarations réitérées du Gouvernement et la conduite des Intendants. Les localités où fonctionnaient des Académies ne virent pas se former des sociétés d'agriculture. Les savants pensaient que ces nouvelles institutions, par leur composition, n'étaient pas capables de faire pénétrer, dans la pratique de l'agriculture, les réformes et les innovations. Le temps, en apparence, leur avait donné raison. Vers 1789, Malesherbes reprit les observations qu'il avait seulement formulées devant ses amis de l'Académie des sciences. Tout en comblant d'éloges la Société d'agriculture de la Généralité de Paris, il plaida, devant la Société elle-même, la nécessité d'organiser un système de correspondance entre les cultivateurs et la création d'un Bureau de renseignements scientifiques, ce qui ne diminue en rien la reconnaissance qui est due à la persévérance et au dévouement de Bertin.

En 1784, une crise de fourrage ayant mis en périt l'existence du bétail dans le royaume, le Contrôle général fit appel non pas à la Société d'agriculture, mais à un nouveau Comité d'administration scientifique. Ce sera l'occasion d'une bataille en règle. A l'heure de 1785, Vincent de Gournay, Trudaine, Turbilly, les collaborateurs de Bertin sont morts. Bertin lui-même vit dans la retraite. Seul Bertier de Sauvigny est debout et l'Intendance de Paris tient tête au Contrôle général.

Le 31 juillet 1787, Lavoisier prend la parole et résume l'histoire agricole des trente dernières années :

L'agriculture, dit-il, est pour la France la première et la plus importante de toutes les fabriques, puisque la valeur de ses productions territoriales, estimées d'après des évaluations modérées, s'élèvent chaque année à plus de 2 milliards 500 millions. C'est cette reproduction annuelle qui fournit à la nourriture et à l'entretien du peuple, à l'aliment des manufactures, au commerce d'exportation, au paiement de l'impôt. Il n'y a pas longtemps que ces grandes vérités sont connues en France. Jusqu'au ministère de M. Bertin, l'attention du Gouvernement s'était portée tout entière sur le commerce, qui présente des opérations plus brillantes en apparence, et plus propres à illustrer un règne. L'agriculture avait été négligée au point que l'administration ne l'avait comptée pour rien dans l'établissement des Conseils, et dans la distribution des départements. M. Bertin, pendant son ministère, dirigea les travaux de quelques savants distingués vers cet important objet. Il fit publier des instructions, fit distribuer gratuitement des graines, pour introduire des cultures inconnues en France, et il établit dans les principales Généralités des Sociétés d'agriculture, dont quelques-unes même ont publié de bons mémoires. Mais la plupart des établissements faits par ce ministre n'ont pas eu une durée plus longue que son ministère, parce qu'il ne leur avait point donné une constitution durable, et indépendante de la surveillance de l'Administration; en sorte qu'ils ont cessé d'exister, du moment où la main qui les avait créés a cessé de les soutenir. La Société d'Agriculture de Paris est à peu près la seule qui ait conservé son activité. Son activité encore avait-elle éprouvé une interruption de vingt années et ne doit-elle son rétablissement qu'au zèle très actif et très éclairé de M. l'Intendant de Paris (1).

La déclaration de Lavoisier couronne la vie et l'éloge de Bertin; le témoignage écrit d'Arthur Young consacre la mémoire du second fondateur de notre Compagnie, de Turbilly. « C'était en 1787, je voulais voir, a écrit Arthur Young, le domaine de Turbilly, qui, pour moi, est une terre classique. » Young cherche en vain et ne peut se renseigner. Vingt ans à peine se sont

(1) Pigeonneau et de Foville. Le comité de l'administration de l'agriculture au contrôle général des Finances, Paris, 1882, p. 400.

écoulés et l'oubli s'est fait. « Je poursuivais mes recherches avec tant d'anxiété qu'on pouvait me prendre pour un fou. »

Enfin, il découvre le domaine et le château qui ont été vendus après la déconfiture de Turbilly, mort insolvable. Young ne peut le croire. « Cela me fit beaucoup de peine, dit-il. Je ne puis exprimer le désir inquiet que je sentais d'examiner les plus petites particules de cette terre. » M. le marquis de Galway, le nouveau propriétaire, le reçoit à merveille. Young voit tout; il se rend compte de tout.

Un jour, il ne peut retenir son émotion. « J'étais presque suffoqué, lorsque je demandai à M. de Galway comment un si grand cultivateur s'était ruiné; je fus soulagé lorsque j'appris qu'il avait été ruiné par l'établissement d'une fabrique de porcelaine. M. de Galway observa que les travaux d'agriculture n'avaient fait aucun tort à sa fortune. Il n'avait jamais entendu dire qu'ils l'eussent mis dans aucun embarras. Ces aveux diminuèrent mes regrets, il n'avait pas laissé d'enfants, quoiqu'il fût marié, de sorte que ses cendres reposent en paix, sans que sa mémoire soit attaquée par une postérité indigente (1). »

Nous recueillons pieusement cette réflexion bien anglaise d'un voyageur qui était un admirateur, et nous la déposons sur la tombe de Turbilly. Aussi la Société nationale d'Agriculture doit-elle, au début de son histoire, unir ces deux noms dans le même hommage: Bertin et Turbilly.

Rendons hommage à Bertin, honorons Turbilly,

(1) Arthur Young. Voyages en France, 1re édit. t. I, p. 275.

48 HISTOIRE DE LA SOCIÉTÉ NATIONALE D'AGRICULTURE.

et constituons la Société de la Généralité de Par sous les auspices de l'Intendant, Bertier de Sa vigny (1).

L'histoire de la Société royale d'Agriculture de Généralité de Paris est ouverte.

(1) Bussière, Henri Bertin et sa famille. 3° partie. Les ministères à Bertin. Périgueux, 1908.

CHAPITRE PREMIER

1761-1783

CONSTITUTION ET COMPOSITION DE LA SOCIÉTÉ D'AGRICUL

TURE DE LA GÉNÉRALITÉ DE PARIS EN 1761.

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COMPTE

RETRAITE DE BERTIN

ET DÉMEMBREMENT DU MINISTÈRE DE L'Agriculture.
DÉCADENCE DE LA SOCIÉTÉ.

La Généralité de Paris comprenait à peu près les quatre départements de la Seine, Seine-et-Oise, Seineet-Marne et Oise avec une partie de l'Yonne, de l'Aube, et d'Eure-et-Loir. Elle se divisait en 22 élections qui forment aujourd'hui presque autant d'arrondissements et dont les chefs-lieux étaient : Paris, Beauvais, Compiègne, Senlis, Nogent-sur-Seine, Sens, Joigny, SaintFlorentin, Tonnerre, Vezelay, Melun, Meaux, Coulommiers, Rozoy, Nemours, Provins, Montereau, Pontoise, Étampes, Mantes, Montfort-l'Amaury et Dreux.

L'administration de la Généralité de Paris, l'une des plus étendues et des plus riches du royaume, avait été dévolue, au milieu du xvIe siècle, à Bertier de Sauvigny, Intendant, d'abord à Moulins, puis à Grenoble et enfin à Paris en 1744. Il est probable qu'il trouva faveur auprès de Phelypeaux, comte de Saint-Florentin, grâce à son beau-père Orry, Contrôleur général des

TOME I.

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