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de Bertin; elle est écrite à propos de Quesnay et de son groupe, elle critique tous ceux qui s'attribuaient le privilège de conjurer les maux de l'état politique et social, en découvrant, comme remèdes, la liberté du travail et la ressource inépuisable de l'agriculture. Malesherbes tenait à faire à tout le monde l'honneur des vérités simples et s'il était convaincu de la nécessité de répandre l'instruction dans les campagnes, il se croyait en droit d'en revendiquer l'honneur pour la science, pour l'Académie des sciences, sans s'occuper des conceptions et des théories de la nouvelle économie politique.

Je sais bien que Quesnay a déjà publié, depuis 1756, des articles dans l'Encyclopédie, que les Maximes générales du gouvernement économique datent de 1758, et qu'elles allaient provoquer, dans une partie de la société française, une émotion véritable; mais j'insiste sur ce point, qu'à cette date, entre 1740 et 1750, les savants s'étaient plus avancés que les économistes dans le mouvement en faveur de l'agriculture. Cependant, et c'est le plus important, ce mouvement général, intérieur, pratique, devait être conduit, à cette époque, aussi bien par les Intendants que par les savants et les économistes, c'est-à-dire par ceux qui représentaient le Gouvernement, qui étaient directement intéressés à alimenter le trésor en défaillance, qui entretenaient des relations continuelles avec la population et qui commençaient à reconnaître, dans l'agriculture, alliée au commerce, la véritable source de la fortune publique.

Ainsi, de tous les côtés, l'agriculture était poussée en avant par les forces vives de l'intérêt général et de

l'opinion publique; mais, au fond, c'était l'Administration qui les dirigeait et qui tenait dans ses mains les affaires de l'agriculture.

Quelques noms résument la situation."

Un groupe d'administrateurs éminents, de nobles esprits, de généreux citoyens se rencontrent et se succèdent pour conduire une partie de la révolution économique du xvIIe siècle. C'est l'histoire de Trudaine, de Vincent de Gournay, de Bertin, de Turbilly, de Bertier de Sauvigny, de Turgot; c'est l'histoire de l'Intendance elle-même.

A Trudaine, par son influence sur les hommes et sur les événements, à Trudaine d'abord, tous les honneurs.

Il n'est pas douteux que, dans un moment où toute la nation était en fermentation, où tout le monde se croyait en mesure de parler et d'écrire sur le commerce, les finances, et les moyens de faire prospérer l'État, le caractère de Trudaine, aussi bien que ses connaissances juridiques, exercèrent, à partir de 1745, une action permanente sur la solution des affaires que se disputaient les traditions et l'esprit de réforme.

Cependant Trudaine ne s'imposa pas à l'opinion publique par l'originalité de ses vues et la force de son action. Il s'introduisit, dans les décisions, par un esprit de conciliation entre les traditions du passé et les nécessités du présent.

Du jour où le Contrôleur général Orry lui fit obtenir la succession de Gaumont, son oncle, comme Intendant des Finances, il devint l'homme nécessaire dans toutes les parties de l'Administration et finit par s'illustrer dans la double direction des Ponts et chaussées, qu'il garda pendant trente ans, et de l'administration

du Commerce où il devait jouer un rôle prépondérant. N'oublions pas qu'en entrant en fonctions, il rendit à l'agriculture un service éminent. Il fit adopter, par le Bureau du Commerce, un projet d'arrêt qui fut sanctionné par le roi en 1746 et qui organisait des mesures contre la contagion des épizooties. Ce qui donna naissance, en 1748 et en 1751, à une Académie de chirurgie qui devint, en 1778, la Société royale de médecine.

La bienveillance du roi l'accompagna d'année en année, et lorsqu'en 1759, sa santé s'affaiblissant, il voulut se retirer de l'Académie des sciences, il reçut la faveur de partager avec son fils les honneurs de l'Académie et le poids de tous ses services administratifs. Son fils, qui devait s'appeler Trudaine de Montigny, écrivit son éloge sur la demande de l'Académie (1).

Il arrive toujours que, dans les situations politiques et sociales profondément troublées, s'élèvent des voix indépendantes qui donnent la raison des choses et finissent, peu à peu, par créer d'heureux mouvements: c'est l'histoire de Vincent de Gournay qui inspira et conquit, sous le titre modeste d'inspecteur du Commerce, Trudaine, Bertin et Turgot (2). « Vincent de Gournay, a dit Turgot, eut le bonheur de rencontrer, dans Trudaine, le même amour de la vérité et du bien public qui l'animait... Son entrée au Bureau du Commerce parut être l'époque d'une révolution. »

C'est dans le Bureau du Conseil du Commerce que Gournay remporta des succès qui permirent à Turgot de le placer parmi les meilleurs esprits de son temps. Ce

(1) Histoire de l'Académie des sciences, 1769, p. 55.

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(2) Schele, Vincent de Gournay, Paris, 1897. Éloge de Gournay par Turgot, Collection des Économistes, t. II, p. 127.

Bureau du Conseil du Commerce, partie exécutive du Conseil du Commerce, était dans les mains de l'Intendant des Finances Trudaine, dont les quatre Intendants du Commerce étaient les agents. Il ne faut pas l'oublier.

La célèbre notice de Turgot met au jour les principes de bon sens et de liberté qui dirigeaient Vincent de Gournay et qui firent, peu à peu, révolution dans les Conseils du roi et le gouvernement des affaires économiques. Vincent de Gournay combattait l'absurdité des règlements, les abus des privilèges et l'intervention des gouvernants dans des matières qu'ils ignoraient. Il fut, toute sa vie, l'adversaire des privilèges et le défenseur de la liberté du travail et du commerce; même au point de vue spécial de l'agriculture, il eut sa part d'influence et de notoriété. Il concourut à la fondation de la première Société d'agriculture, et prépara ainsi le terrain sur lequel le Contrôleur général Bertin, qui sortait lui-même de l'Intendance, allait jeter les fondements d'une organisation combinée de l'agriculture et du commerce.

Il faut dire comment une circulaire du 24 septembre 1755, adressée aux Intendants, annonçait que Vincent de Gournay se rendait dans les provinces « pour y prendre connaissance de tout ce qui pouvait être relatif à l'objet du commerce ». Il se trouvait en Bretagne pendant la tenue des États de cette province, à la fin de 1756. A son instigation, les États nommèrent une Commission pour s'occuper des réformes à préparer ou à solliciter, en matière de commerce, d'industrie ou d'agriculture.

Un négociant de Nantes, Montaudoin de la Touche, proposa de constituer une Société suivant le modèle de la Société d'agriculture de Dublin. Vincent de Gournay

engagea la Commission à adopter ce projet. Il travailla même à établir les statuts qui furent arrêtés le 2 février 1757, et approuvés, par un brevet du roi, le 20 mars suivant. Ce ne fut qu'en 1761 que le roi consacra cette Société d'agriculture par des lettres patentes dans la série des arrêts du Conseil touchant les Sociétés d'agriculture. Elle était demeurée, pendant trois ans, l'organe de la province de Bretagne et le point de mire de l'Administration royale (1).

Cetle Société, fondée par les États de Bretagne, en 1757, était dite « Société d'agriculture, du commerce et des arts ». En 1760, fut publié à Rennes, en son nom, un Corps d'observations pour les années 1757 à 1760; ce volume, rédigé par Abeille, secrétaire de Vincent de Gournay, s'ouvre par un rapport de la Commission chargée de répondre aux observations présentées par l'inspecteur en tournée. C'est un tableau des voyages de Vincent de Gournay.

Vincent de Gournay ne créa pas une école comme le docteur Quesnay, il fit des disciples : Trudaine, Malesherbes et Bertin; il ne fit pas des livres, mais des hommes. C'est par la propagande, par la discussion, par l'autorité de sa parole, qu'il finit par conquérir l'Administration. Les missions que l'Intendant du Commerce remplit, entre 1751 et 1759, apprirent aux populations et aux intéressés les nouveaux principes qui, dans le malheur des temps, semblaient promettre un meilleur avenir. La personnalité de Vincent de Gournay le mit hors de pair dans le monde de l'intendance comme dans le monde du commerce. « M. de Gournay, a dit Turgot, mériterait la reconnaissance de (1) Archives nationales, H. 1511.

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